Extrait d’un texte rédigé pour un comité de suivi de thèse ayant eu lieu en juillet 2023.
A. Éléments de problématisation
1. Pragmatisme expressiviste et histoire conceptuelle : théorie, pratique, histoire. Il s’agit d’un travail de philosophie de l’éducation s’inscrivant dans la tradition du pragmatisme. Si le thème de l’éducation a pu être abordé par certains philosophes pragmatistes de première importance (Dewey, Rorty), j’aimerais ici l’approcher à partir d’un point de vue qui ne l’envisage pas en tant que tel : le pragmatisme expressiviste de Robert Brandom. Ce que je retiens de cette approche, c’est d’abord une certaine façon d’envisager l’articulation de la théorie et de la pratique. D’un point de vue expressiviste, la fonction de l’activité théorique n’est pas de mettre au jour une vérité spéculative hermétique, mais d’élaborer un vocabulaire, c’est-à-dire un réseau de concepts, permettant de rendre raison de certaines pratiques, c’est-à-dire de les justifier ou, dit encore autrement, de rendre explicite les normes qui leur sont implicites. Ce cadre est particulièrement fertile pour réfléchir à la façon dont théorie et pratique se répondent en se transformant mutuellement. Rendre raison des pratiques est en effet une façon de mieux comprendre ce que l’on cherche à faire – et mieux comprendre ce que l’on cherche à faire permet d’envisager des façons de mieux le faire. Ce qu’il faut retenir ici, c’est que ce va-et-vient entre le niveau de la théorie et celui de la pratique peut être décrit comme un mouvement d’approfondissement dans les normes – approfondissement de la conscience théorique de ces normes et approfondissement de l’engagement pratique dans ces normes. Dans ce cadre, faire de la philosophie expressiviste de l’éducation consiste à mettre en évidence de tels renforcements normatifs en montrant que, souvent, quand les éducateurs et les pédagogues changent leurs façons de penser et d’éduquer, il ne faut pas dire qu’ils font (et pensent) autre chose, mais qu’ils font (et pensent) autrement. Cette analyse ne peut cependant faire l’économie d’une prise en compte des variations sociohistoriques dans lesquels ils s’intègrent. Les théories, les pratiques éducatives et leurs transformations ne font sens que dans le cadre sociohistorique dans lequel elles émergent et se développent. Pour prendre en compte cette dimension, la philosophie expressiviste de l’éducation doit prendre la forme d’une histoire conceptuelle qui montre la façon dont théories et pratiques se répondent tout en répondant à la situation sociohistorique qui est la leur.
2. L’éducation comme entrée pour réfléchir sur les conditions sociales et matérielles de l’autonomie moderne. Étudier l‘éducation, c’est s’intéresser aux pratiques de conditionnement social des individus permettant d’amener les enfants à devenir des personnes capables de s’intégrer dans la forme de vie collective à laquelle ils appartiennent. Le travail que j’entreprends ne concerne pas l’éducation en générale, mais l’éducation dans un type de société bien particulier, celui dans lequel nous vivons : les sociétés modernes, c’est-à-dire des sociétés dont les membres sont des individus autonomes. Sous cet angle, étudier l’éducation des sociétés modernes, et même leur éducation préscolaire, est un moyen de s’interroger sur les conditions sociales et matérielles qui rendent cette autonomie possible. Autre caractère important des sociétés modernes mis en avant par Lemieux et Blitstein : ce sont aussi des sociétés où se trouvent des « agents modernisateurs », c’est-à-dire des individus qui réfléchissent sur la société dans laquelle ils vivent, la critiquent et œuvrent pour la réformer. Dans le cas de l’éducation préscolaire du XIXe siècle, ces agents modernisateurs réfléchissent à des façons d’amener les enfants à devenir des individus capables de faire face aux transformations sociales inédites consécutives à la Révolution française et à la Révolution industrielle. L’hypothèse centrale de ce travail est que la réflexivité critique des pédagogues modernisateurs alimente un renforcement normatif de l’engagement pratique des éducateurs dans les normes d’autonomies des sociétés modernes.
3. Trois dimensions de l’autonomie moderne : autodétermination, autocontrainte, justification. L’examen des théories et des pratiques préscolaires permet de repriser la définition de l’autonomie moderne comme la réunion de trois compétences. (1) La première, c’est l’autodétermination (Kant). L’autonomie, comme autodétermination, c’est la liberté positive – non celle qui consiste à ne pas être empêché de mais celle qui découle de la capacité à se fixer un but. (2) La deuxième, c’est celle de l’autocontrainte (Elias). Pour être autonome, il ne suffit pas d’être capable de se fixer des buts, il faut aussi avoir assez de discipline et d’habilité pour les réaliser. (3) La troisième est celle de la justification (Habermas, Brandom) qui correspond à la capacité des individus qui s’autodéterminent de donner et de demander des raisons de ce qui a été fait ou dit. L’échange des raisons est le lieu où naissent les controverses, c’est aussi celui où des buts communs peuvent s’instituer. En ce sens, c’est par la justification que l’autonomie moderne permet à des individus d’instituer une forme de vie collective particulière prenant la forme d’une démocratie fonctionnelle. Ce que l’examen des pratiques préscolaires modernes donne à voir, ce sont des dispositifs matériels préparatoires à ces compétences. Ainsi, les aménagements que proposent Kergomard et Montessori pour que l’enfant s’occupe tout seul le préparent à la capacité d’autodétermination. Le type de discipline et de bonnes habitudes qu’elles cherchent à favoriser prépare les enfants à l’autocontrôle nécessaire pour devenir autonome. Le type d’apprentissage du langage (parler d’abord pour décrire ce que l’on fait) et les attitudes d’entraide qu’elles favorisent les préparent aux pratiques de justifications.
4. La seconde nature des modernes. L’examen des théories pédagogiques modernes permet aussi de constater que réfléchir sur l’autonomie moderne consiste généralement à élucider la tension entre nature et seconde nature qui dérive d’une séparation anthropologique de la nature et de la société. Chez les Anciens, la nature est un concept qui englobe tout, c’est l’ordre divin du monde où tout est décidé, notamment la place qui revient à chaque individu. Dans ce cas, cela saute aux yeux dans l’Orbis Pictus de Comenius, il n’y a pas lieu de distinguer l’ordre naturel de l’ordre social, le second étant une partie du premier. Chez les Modernes, en particulier depuis Rousseau et les Lumières, la société ne se définit plus à partir de l’ordre divin, mais à partir de la division du travail. La tension entre nature et seconde nature est liée au fait que l’individualité du sujet moderne n’est ni complètement naturelle, ni complètement sociale. Quand les éducateurs modernes parlent de la « nature de l’enfant », ils parlent de l’enfant comme un individu qui n’est pas prédéterminé socialement : sa nature lui garantit une individualité indépendamment de sa position sociale. En ce sens, le concept de « nature de l’enfant » invite constamment à naturaliser l’individu. Il n’empêche que l’éducation de l’enfant doit tout de même garantir sa capacité à s’insérer dans la vie sociale. Ce qui rend possible cette insertion, c’est le conditionnement social de la nature de l’enfant. Ce que ce conditionnement social produit, c’est une « seconde nature », des habitudes acquises indispensables à l’insertion sociale, qui deviennent si évidentes qu’elles passent pour naturelles. Parler de seconde nature, c’est toujours s’intéresser à ce qui semblait naturel, mais qui, en fait, ne l’était pas. En ce sens, le concept de « seconde nature » invite constamment à dénaturaliser l’individu. Mais il n’y a de seconde nature que parce qu’il y a une nature « première », c’est-à-dire une base non sociale sur laquelle le conditionnement social s’applique. En ce sens, la seconde nature est paradoxale : elle dépouille la nature tout en l’affirmant. Ce que j’identifie ici comme une « tension » entre nature et seconde nature correspond à la façon dont ces concepts nous invitent continuellement à naturaliser et à dénaturaliser l’individu. Une hypothèse de ce travail est que cette tension permet d’expliquer les controverses idéologiques modernes, en particulier en ce qui concerne les questions d’éducation : ces controverses pourraient s’enraciner dans des façons concurrentes de résoudre la tension entre nature et seconde nature.
5. Établir le point de départ d’un vaste programme. L’objectif de ce travail de thèse est de définir les premières marches d’un vaste programme de recherche : celui d’une étude sociohistorique des théories et des pratiques préscolaires s’étalant de la fin de la Renaissance à nos jours et qui permettrait de rendre compte non seulement de la façon dont les pratiques préscolaires modernes peuvent être analysées comme des pratiques de conditionnement social rendant possible l’autonomie moderne, mais aussi de la façon dont la question de l’éducation préscolaire amène les acteurs à réfléchir sur l’autonomie moderne. Il s’agit donc ici d’exposer une certaine façon d’envisager l’étude sociohistorique des pratiques préscolaires et de proposer un certain nombre d’hypothèses en s’efforçant de montrer que cette façon de faire peut nous apprendre quelque chose sur ce que c’est que vivre dans une société moderne. En ce sens, ce projet relève de l’anthropologie de la modernité. Dans ce travail de thèse, mon analyse se restreint à un tour d’horizon des pratiques préscolaire au XIXe siècle en Europe (en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne, en Italie), c’est-à-dire à l’époque où l’on commence à voir émerger des institutions se donnant pour but d’assurer l’éducation des enfants d’âge préscolaire (entre 3 et 6 ans). J’y propose aussi, en troisième partie, un retour en arrière à Érasme, Comenius, Locke et Rousseau, non plus pour analyser l’histoire d’institutions, mais pour questionner l’histoire de l’idée moderne d’autonomie et la façon dont, dès ses premières formulations, celle-ci s’articule à des réflexions concernant l’éducation des enfants, et même des tout petits enfants.
B. Synopsis
Organisation des parties. Chaque partie s’ouvre sur une comparaison entre les propositions de deux agents modernisateurs (Cochin/Fröbel ; Kergomard/Montessori ; Érasme/Rousseau), en revenant à chaque fois à la fois sur les concepts qu’ils mobilisent, les pratiques qu’ils proposent et la façon dont ils justifient leur proposition pédagogique en réponse au contexte sociohistorique qui est le leur. Chaque comparaison servira ensuite de point de départ à une réflexion critique sur des façons actuelles de penser l’éducation préscolaire (la notion bourdieusienne d’habitus, l’idée de pédagogie explicite, la théorie de l’attachement). Par ces critiques, il s’agira moins de faire acte de réfutation que de montrer comment l’analyse des propositions pédagogiques du passé que je propose peut enrichir la compréhension des controverses d’aujourd’hui.
Partie 1 – Imitation et décomposition. Je compare ici les salles d’asiles françaises (principalement à partir du manuel de Cochin) et les jardins d’enfants allemands (à partir des écrits de Fröbel et des brochures de Marenhöltz). Je m’intéresserai notamment à la façon dont ces institutions sont justifiées par leurs fondateurs comme des façons de répondre aux problèmes sociaux que posent la Révolution française (volonté de pacifier du peuple pour prévenir les révoltes) et la Révolution industrielle (problèmes liés au travail et l’abandon des enfants et à la délinquance juvénile). Je rendrai compte de la façon dont l’autonomie que l’éducation préscolaire doit favoriser est pensée négativement par les acteurs contre l’égoïsme (une forme d’individualisme qui détruit le lien social), l’oisiveté (tendance des individus à se laisser dépérir) et la machinisation de l’homme (tendance des individus à agir mécaniquement par habitude) et, positivement, à travers la catégorie de travail (comme expression d’un amour de soi qui favorise le souci de l’autre). D’un point de vue pédagogique, j’insisterai sur la façon dont les acteurs cherchent à redéfinir l’autorité magistrale en critiquant la sévérité de l’éducation traditionnelle, sur la façon dont les pratiques pédagogiques proposées impliquent un engagement actif de la part des enfants (en posant des questions dans la leçon de choses ou en construisant quelque chose dans le jeu de cube), mais aussi sur la façon dont elles prétendent favoriser des attitudes d’entraide entre enfants. Ces analyses me permettront de formuler une hypothèse : ce qui se joue dans ces pratiques, c’est le passage d’une pédagogie de l’imitation à une pédagogie de la recomposition. Je m’interrogerai notamment sur la façon dont la recomposition permet d’amener les enfants sur le chemin de l’autonomie en leur proposant des activités qui, tout en définissant des exigences communes, exigent de leur part une affirmation individuelle. Ces considérations m’amèneront à revenir de façon critique sur la notion bourdieusienne d’habitus telle qu’elle est utilisée dans Prendre de Wilfried Lignier. En ramenant un peu vite les normes préscolaires à un arbitraire social irréfléchi, Lignier ne peut rendre complètement compte des idéaux d’autonomies qui régulent les pratiques scolaires, bien que ses outils conceptuels lui permettent de montrer que cette entrée dans l’autonomie se fait de façon inégale. Plus généralement, si l’appareil conceptuel bourdieusien permet assez bien de rendre compte des choses qui échappent aux acteurs, il est beaucoup moins opérant pour rendre compte de la façon dont les acteurs réfléchissent à ce qu’ils font et sur la manière dont ces réflexions peuvent transformer leurs pratiques.
Partie 2 – Indépendance et autonomie. Je compare ici l’école maternelle du début de la IIIe République (à travers les écrits de Kergomard, en particulier dans la revue L’ami d’enfance) et les maisons d’enfants de Montessori à Rome (à partir des textes de Montessori et des comptes rendus de visite qui ont pu être écrits à l’époque). Une part importante de cette partie concernera la façon dont Kergomard et Montessori s’efforcent continuellement d’articuler les problématiques sociales de leur temps (chez Kergomard : éducation morale laïque, unification de la langue française, volonté de démocratiser de l’éducation préscolaire au-delà des classes les plus pauvres ; chez Montessori : prise en charge des enfants dans les bidonvilles de Rome, moralisation des classes populaires) avec la science de leur époque (anthropologie sociale chez Montessori, psychologie chez Kergomard). Sur ce point, nous verrons que les propositions concernant l’éducation préscolaire s’appuient sur une littérature scientifique qui concerne l’éducation des enfants anormaux (idiots, aveugles, sourds, etc.). D’un point de vue pédagogique, on insistera sur la façon dont Kergomard et Montessori aménagent l’espace de leur institution à hauteur d’enfants pour en faire un lieu où ils peuvent agir aussi librement que possible en ayant les occupations les plus riches possibles. Nous verrons cependant que cette activité libre suppose toujours un travail de dressage en amont par lequel l’on inculque à l’enfant un ensemble d’habitudes fondamentales par la contrainte (chez Kergomard le « jeu » suppose une « l’éducation autoritaire », chez Montessori la « liberté » suppose « l’indépendance »). Nous verrons que ces propositions approfondissent les discours sur l’autonomie comme travail et qu’elle généralise la pédagogie de la décomposition à l’échelle de l’espace de la classe (ce que l’enfant compose et recompose, c’est aussi l’espace de la classe qu’il range et dérange continuellement). Cette comparaison me permettra de revenir sur la critique que Dehaene oppose aux pédagogiques « socio-constructivistes » au nom d’une « pédagogie explicite » (c’est-à-dire d’un guidage cognitif). D’après Dehaene, les pédagogies socioconstructivistes échouent (la littérature scientifique l’aurait démontré) parce qu’elles laissent l’enfant dans une position ou il doit découvrir par lui-même les normes de son action. Face à cela, Dehaene préconise une pédagogie explicite où l’enseignant énonce clairement à ses élèves ce qu’il lui apprend. Je monterais d’abord que la critique que Dehaene oppose aux pédagogies socioconstructivistes est grossière, notamment parce qu’elle ne s’intéresse pas de façon fine aux différentes formes de guidages permettant d’accompagner les enfants. Je m’intéresserai ensuite à la notion de « pédagogie explicite » en insistant sur le fait que celle-ci ne vaut que dans la mesure où elle permet aux enfants de répondre à des situations où les normes redeviennent implicites – chose que Dehaene, qui traite l’éducation comme un processus d’intériorisation d’une représentation juste du monde, n’envisage manifestement pas.
Partie 3 – Nature individuelle et attachement social. Dans une démarche qui relève beaucoup plus franchement de l’histoire des idées philosophiques, on comparera l’usage du concept de « nature individuelle » à la Renaissance (d’Érasme à Locke en passant par Comenius) et à l’époque des Lumières (en particulier, chez Rousseau). Nous verrons comment l’on passe d’une nature individuelle permettant de justifier la prédétermination sociale de l’individu dans la société à une autre qui, à l’opposé, permet de penser l’individu comme un être désencastré de la société. À partir d’une lecture de L’Emile de Rousseau, je suggèrerai que l’éducation « naturelle » n’a de sens que dans la mesure où elle prend la forme d’une éducation « pré-sociale ». L’éducation naturelle n’est pas une éducation hors de la société, mais à l’écart de la société. En ce sens, le lieu où Rousseau élève Emile est, comme les institutions de Kergomard et Montessori, un espace aménagé dans lequel l’enfant peut exprimer sa spontanéité d’une façon qui lui permette de devenir autonome (et d’une façon qui ne peut se concrétiser dans l’espace social où vivent les adultes). On insistera sur l’ambiguïté de ce lieu à l’écart ou Emile est éduqué, lieu qui ressemble à la fois à un lieu du passé, presque antimoderne (un espace de campagne loin de la ville), et un lieu du futur, qu’on n’a encore jamais observé en tant que tel, plus moderne que jamais : un espace artificiel aménagé pour permettre à l’enfant d’affirmer son individualité et de reconnaître autrui comme des individus qui sont ses égaux. Ces analyses me permettront de conduire deux réflexions relativement indépendantes. D’abord, une réflexion sur la dimension idéologique des controverses éducatives modernes. Je tenterai ainsi d’approfondir les propositions de Socialisme et sociologie de Cyril Lemieux et Bruno Karsenti en montrant que les controverses éducatives sont liées à différentes façons de résoudre la tension entre nature et seconde nature. Cette réflexion permettra de présenter l’œuvre de Rousseau comme une œuvre qui, par ses ambiguïtés, permet de définir l’espace discursif dans lequel se déploient les controverses éducatives modernes. Je m’intéresserais ensuite de façon critique à la théorie de l’attachement que l’on peut considérer comme un effort de naturalisation de l’interdépendance entre le développement individuel de l’enfant et le type de relations qu’il entretient avec les autres (en particulier, avec ses parents). La théorie de l’attachement permet à la fois d’affirmer sur un mode naturaliste les normes de l’attachement autonomisant (attachement sécure) et les effets pathologiques des attachements dysfonctionnels sur le développement individuel de l’enfant (troubles de l’attachement). Je proposerai l’hypothèse suivante : la théorie de l’attachement n’est pas simplement une naturalisation des premiers liens sociaux de l’enfant, c’est une re-naturalisation au sens où elle consiste à renaturaliser des choses qui n’ont pu être pensées d’abord qu’en dénaturalisant la relation mère-enfant telle qu’on la pense au Moyen-Âge et à la Renaissance. Cet effort de dénaturalisation, on le trouve d’abord chez Rousseau qui décrit les premières interactions entre la mère et l’enfant comme des interactions qui, selon leur forme, permettent de faire entrer l’enfant dans une forme de vie fondée sur la domination ou sur l’égalité. On le trouvera encore chez le second Freud (en nous appuyant sur les travaux de Pierre-Henri Castel), dans la manière dont il redéfinit, après la Première Guerre mondiale, les buts de la psychanalyse en termes de critique sociale. Finalement, ce que la théorie de l’attachement manque, c’est que les normes d’attachement qu’elle explicite sont moins naturelles qu’anthropologiques et que cet « attachement sécure » dont on nous parle est avant tout celui que doit développer l’enfant pour bien vivre dans une société moderne, une société où les enfants sont appelés à devenir les égaux de leurs parents.