Emilie Mallet – Appendice de la troisième édition du Manuel de Cochin (1845)

[193] APPENDICE.

NOTICE HISTORIQUE SUR L’ORIGINE ET LES DÉVELOPPEMENTS DE L’INSTITUTION DES SALLES D’ASILE.

Les Salles d’Asile inspirent maintenant un intérêt assez général pour qu’on puisse désirer de connaître leur origine. Ce fut dans notre patrie que la Providence fit naître la pre­mière pensée de cette utile institution. En 1770, dans une sauvage vallée des Vosges, un pasteur, nommé Oberlin, gémissait de la profonde ignorance et de la misère des fa­milles qui l’entouraient; il entreprit de les civiliser, et, donnant toute son attention et tous ses soins à l’éducation des enfants dès leur plus jeune âge, il institua, pour les in­struire gratuitement, des conductrices que lui-même dirigeait dans l’accomplissement de leur tâche. Il établit ainsi, dans cinq villages, ce qu’on y appela des écoles à tricoter ; car les enfants, dès l’âge de quatre ans, y étaient exercés à ce travail. En même temps on leur apprenait à prier et à chanter des cantiques; on leur parlait de Dieu et de sa toute-puissance. Des images représentant les histoires de la sainte Écriture, des plantes ou des animaux, servaient à les instruire. La pre­mière des conductrices fut Sara Bauzet, qui mourut à vingt-neuf ans ; une autre jeune fille, Louise Scheppler, continua son œuvre et exerça ces fonctions pendant plus de cinquante-cinq années.

[194] L’idée des écoles de l’enfance, envisagée sous le rapport du développement de l’intelligence, fut donc alors révélée à des esprits humbles et simples et à des cœurs pieux et dévoués. Cette même idée, envisagée au point de vue de la charité la plus active, et comme moyen d’action d’une piété tendre et chrétienne, naquit dans l’âme d’une femme placée sur une partie bien différente de la scène du monde. Ce fut dans l’année 1801 que madame la marquise de Pastoret (1) entreprit de fonder le premier établissement destiné à recueillir de petits enfants, laissés sans protection pendant les tra­vaux journaliers de leurs mères.

(1) Enlevée, en septembre 1843, à la tendresse de sa famille et à la reconnaissance de l’humanité.

Un jour madame de Pastoret rencontra l’une d’elles, qu’elle allait visiter parce qu’elle l’avait fait admettre aux secours de la Société maternelle; cette femme était chargée de linge qu’elle venait de laver à la rivière, afin de gagner sa vie et celle de son enfant. Madame de Pastoret entra avec elle dans sa chambre. L’enfant avait été posé sur le lit; mais il était tombé baigné dans son sang; et la pauvre mère disait : « Je n’ai pas le moyen de le faire garder; on me demande huit ou dix sous, et je n’en gagne que vingt-cinq par jour.» Une autre circonstance frappa douloureusement le cœur de madame de Pastoret. Souvent elle rencontrait sous les galeries de la place Louis XV une petite fille de six à sept ans, faible et pâle. Sa mère l’avait chargée du soin de sa sœur, enfant de quelques mois; et, pour suppléer à la force qui manquait à sa fille aînée, la mère liait autour de son cou et de ses épaules la pauvre petite emmaillottée; et c’est ainsi que les deux en­fants passaient leurs journées attachées l’une à l’autre. Un jour, madame de Pastoret défît tous les nœuds, et en exami­nant l’enfant, alors âgée de dix-huit mois, elle remarqua que l’épine dorsale était voûtée, et que la pauvre petite était con­trefaite pour toujours.

Voilà les premiers fondateurs des Salles d’Asile ou d’hospita­lité. Madame de Pastoret chercha une sœur hospitalière, lui [195] adjoignit une bonne femme, et les établit dans deux grandes chambres bien chauffées rue de Miromesnil. Le projet de madame de Pastoret était non-seulement de recueillir les enfants à la mamelle, mais de faire venir leurs mères, une ou deux fois dans la journée, pour leur donner le sein, et de les leur faire reprendre le soir. L’établissement était pourvu de douze berceaux, de linge, de lait et de sucre. Mais il n’y avait que deux femmes, et leurs forces ne purent suffire aux soins qu’exigeaient dix ou douze enfants. La sœur hospitalière perdait sa santé, et, malgré les vifs regrets de madame de Pastoret, il fallut céder à la nécessité et renoncer à de chères espérances. Mais madame de Pastoret éleva toutes les petites filles de ses berceaux; et la Salle d’hospitalité fut transformée en une école gratuite qui n’a point cessé d’exister. L’idée des Salles d’Asile fut ainsi arrêtée dans son premier développement.

Ce fut loin des vallées des Vosges et loin des bords de la Seine qu’elle reçut enfin son accomplissement. Un homme bienfaisant et industrieux du nord de l’Écosse, M. Owen de
New-Lanark, s’affligeait de voir les enfants de ses nom­breux ouvriers livrés à l’abandon auquel les condamnait le travail de leurs parents; il conçut, en 1817, l’idée de les recueillir, et prit un simple tisserand qui ne connaissait rien aux écoles, mais qui avait un grand amour des enfants et une patience infatigable avec eux. Cet homme était James Buchanan; il sut deviner et réaliser les inspirations de son maître, et il parvint à réunir dans son école au-delà de 150 enfants (de l’âge de 2 à 7 ans). On y trouvait le germe évident des méthodes qui sont aujourd’hui en vigueur, le chant, les évolutions de la méthode lancastrienne. Deux ans plus tard, Buchanan fut appelé à Londres par lord Brourgham, M. Macaulay, etc.; et là la méthode d’enseignement des Infant-schools fut portée à un haut degré de perfection (1). Voilà l’origine exacte de l’institution des Salles d’Asile. Nous [196] l’avons présentée avec tous ses détails, parce qu’ils établissent une vérité qui ne peut que faire naître l’admiration; c’est que l’idée si touchante de cette institution a été conçue en des temps et des pays différents, par des âmes dévouées au bien de l’humanité. Nous ne suivrons point les progrès des Salles d’Asile en Angleterre ni dans les autres pays, mais nous di­rons comment elles ont été fondées à Paris. En 1825, des personnes qui avaient visité l’Angleterre en rapportèrent une vive admiration pour ces écoles si nouvelles et si in­téressantes. Quelques mères de famille se demandèrent : « Pourquoi n’essaierait-on pas de former ici une telle institu­tion? » et cherchèrent à tenter un premier essai. Bientôt après elles formèrent un comité (2) dont madame la marquise de Pastoret voulut bien accepter la présidence, repre­nant ainsi et continuant l’œuvre dont elle avait eu la pensée tant d’années auparavant. Le comité publia un pros­pectus et provoqua des dons et des souscriptions. Une note fut adressée au conseil général des hospices, qui accorda, au mois de mai 1826, un don de 3,000 fr. et une maison dépen­dant de l’hospice des Ménages. L’état de délabrement dans lequel était cette maison exigea des travaux de réparation, qui dépassèrent de 1,115 fr. la somme allouée par le conseil des hospices.

(1) Extrait de l’Ami de l’enfance.

(2) La première réunion, composée de quatre dames, eut lieu le 4 mars 1826, chez madame la marquise de Pastoret.

Le comité confia la direction de la Salle d’Asile à deux sœurs de l’ordre de la Providence, établi à Portieux, dépar­tement des Vosges, cette communauté seule ayant consenti à prendre part à cette tentative nouvelle.

M. l’abbé Desgenettes, curé des Missions étrangères, voulut bien présider les réunions du comité des dames, qui publia, le 1er mars 1827, un compte rendu contenant les détails sui­vants : « Les enfants de l’âge de dix-huit mois à six ans sont réunis dans la salle au nombre de quatre-vingts ; plus de cent quarante noms sont inscrits…… Les enfants sont amenés à [197] l’Asile à huit heures du matin, et apportent avec eux des ali­ments pour deux repas; ils restent jusqu’à cinq heures en hiver, et jusqu’à sept en été. La journés est coupée par une alternative de jeux et d’études appropriés à l’âge et aux forces des enfants. Celles-ci consistent : à marcher en ordre et en mesure; à lire de grosses lettres imprimées sur des ta­bleaux suspendus aux murailles; à entendre et à répéter l’ex­plication d’images représentant des animaux et des métiers, sur lesquels on provoque leurs petites réflexions; à apprendre le catéchisme et quelques cantiques. On leur donne aussi les premiers éléments du calcul, au moyen d’un grand cadre renfermant des tringles sur lesquelles roulent des boules de couleur. Pendant les récréations, ils jouent avec des briques en bois qui leur servent à figurer différentes constructions, soit dans la salle, soit dans une cour sablée et plantée d’ar­bres……Le comité souhaiterait vivement que ses essais trou­vassent des imitateurs à Paris et dans le reste du royaume; car, afin d’assurer les avantages qu’on peut en espérer pour la génération qui s’élève, il faudrait que le bienfait des Asiles de l’enfance devînt en quelque sorte général. » (1)

(1) Les dames, composant le comité, étaient : mesdames la marquise de Pastoret, présidente; mesdames de Maussion, vice présidente; Jules Mallet, secrétaire-trésorière ; la duchesse de Praslin, Irésorière adjointe; la princesse Théodore de Bauffremont, id.; Gautier, de Champlouis, Anisson du Perron, la baronne de Vareignes, la comtesse de Ludres, Mailfair, la marquise de Lillers. Les dons et souscriptions étaient reçus par MM. Mallet, banquiers; depuis 1827, entrèrent successivement dans le comité : mesdames la comtesse de Bondy, la comtesse de Laborde, Boutarel, Caussin de Parceval, Danloux-Dumesnil, Delondre, Guerbois, Marmet, Moreau, Frédéric Moreau, Victorine Moreau, la vicomtesse Por­talis, la comtesse de Rambuteau, la baronne de Tholosé, la vicomtesse de Vaufreland, mademoiselle du Vaucel.

Deux manuels anglais (1) avaient été traduits dès le commen­cement de l’année 1826, et, avec l’aide de ces excellents ouvrages, on essayait de mettre en pratique la méthode; mais malgré les efforts persévérants de deux dames, et la bonne volonté des sœurs, on ne put réussir; et l’on sentit qu’il fallait [198] puiser plus d’expérience et de lumières dans un examen ap­profondi des Infant-schools d’Angleterre. L’on chercha une personne qui consentît à se charger de cette mission; et ce fut alors (2) que les dames du comité entrèrent en relation avec M. Cochin, maire du douzième arrondissement, qui de son côté, sans avoir connaissance de l’essai tenté par les dames, avait réuni, dans deux chambres de la rue des Gobelins, un certain nombre de petits enfants, et cherchait, lui aussi, par une inspiration charitable, à créer l’œuvre des Asiles.

(1) De Wilderspin et de Goyder.

(2) En juin 1827.

M. Cochin fit connaître madame Millet au comité par qui elle fut envoyée à Londres ; elle y passa deux mois en 1827 ; et à son retour, elle s’efforça de mettre en pratique, dans la Salle d’Asile d’essai, la méthode qu’elle avait étudiée avec une profonde attention. Alors le comité ouvrit, rue des Mar­tyrs, une nouvelle Salle que madame Millet organisa avec un plein succès. A ce même moment, M. Cochin fondait le grand établissement qui, depuis, a été considéré comme Asile-Modèle. Le comité des dames, poursuivant sa tâche, ou­vrit successivement trois autres Salles d’Asile, dont la con­servation fut, pendant quatre ans, pour le comité l’occasion d’efforts continuels et souvent de vives inquiétudes. Aucune ordonnance n’avait réglé légalement leur existence. Les se­cours en argent étaient irréguliers et douteux ; le conseil des hospices en accorda plusieurs fois, mais ne voulait prendre aucun engagement pour l’avenir. En 1828, aucune subvention ne futdonnée par lui ; et au mois de juin 1829, le comité n’avait plus en caisse que 1,256 fr. pour faire face à toutes ies dépenses qui s’élevaient, cette année, à 16,000 fr. Alors M. de Martignac, ministre de l’intérieur, M. le comte de Chabrol, préfet du département de la Seine, accordèrent des secours.

Enfin le conseil des hospices, qui venait de décider l’achat delà maison modèle fondée par M. Cochin, cédant aux vives sollicitations du comité des dames, consentit à prendre les [199] Salles d’Asile sous son adoption et sa tutelle (1). Un arrêté du conseil, approuvé et signé par le ministre de l’intérieur, con­sacra l’œuvre des Asiles, qui, dès ce moment, devinrent établissements d’utilité publique et de charité. L’administration des hospices commença dès lors à s’en occuper de concert avec les dames du comité, auxquelles furent donnés des rè­glements approuvés par M. le préfet de la Seine (2). La compta­bilité des Salles d’Asile revêtit les formes administratives et fut soumise au contrôle de l’autorité. Pendant l’espace de onze années (1826 à 1837), le comité obtint :

De la charité publique115,116 fr.
Du conseil général des hospices80,695
Du conseil municipal28,000
Et des bureaux de bienfaisance24,100
TOTAL247,911

(1) Parmi les membres du conseil général des hospices, MM. le mar­quis de Pastoret, le baron de Gerando, le baron Carnet de la Bonnardière, le baron Delattre, le baron Delessert, Desportes, et surtout MM. Valdruche et Cochin, furent les protecteurs de l’institution des Salles d’Asile et en 1833 M. Cochin publia le Manuel, qui contribua si puissamment aux progrès et au perfectionnement de cette institution. Quelque temps auparavant avait paru l’Instruction élémentaire pour la formation des Salles d’Asile, rédigée par une des dames du comité.

(2) Trois membres du conseil des hospices , MM. le baron Carnet de la Bonnardière, Cochin et Valdruche, furent délégués auprès du comité des dames pour lui servir de conseil et d’intermédiaire.

L’administration des hospices se chargea de payer, en outre, les loyers et les frais de premier établissement des nouveaux Asiles. Le nombre des salles s’éleva successivement à vingt-quatre dans ce même espace de onze années, et S. A. R. ma­ dame Adélaïde accepta le titre de protectrice de l’œuvre.

« Cependant les allocations municipales, que les progrès de l’institution rendirent nécessaires, ne tardèrent pas à lui donner un caractère municipal. En même temps l’autorité remarqua que les enfants n’étaient pas seulement recueillis et surveillés, ils étaient élevés. Les Salles d’Asile formaient en [200] réalité le premier degré de l’éducation de l’enfance; elles de­vaient passer sous le contrôle de l’administration, dont la mission est de veiller à la direction intellectuelle et morale de l’éducation à tous les âges et dans tout le royaume. Par une circulaire qui suivit la publication de la loi du 28 juin 1833, le ministre de l’instruction publique s’en saisit. Les Salles d’Asile étaient considérées comme la base de l’in­struction primaire. Dès ce moment, la comptabilité et l’ad­ministration furent réclamées par l’autorité municipale; la surveillance, par les comités locaux, par le comité central surtout; la nomination des maîtres et des maîtresses, par les commissions d’examen. Le comité des dames, qui avait exercé jusque-là tous les pouvoirs, se les voyait disputés tous à la fois (1). Dans cet état de choses devait naître la pensée d’un pouvoir mixte. En effet, les 9 avril, 13 mai et 1er juillet 1836 intervinrent des délibérations du conseil royal de l’instruc­tion publique et des décisions de M. le baron Pelet (de la Lo­zère), alors ministre, qui prescrivirent la création de commis­sions composées de membres du comité central et du comité des dames, chargées de tout ce qui concernait l’administration la surveillance, la discipline des Salles d’Asile. Cette organisation fut loin de réussir à satisfaire les autorités rivales. Les commissions d’examen se plaignirent d’avoir perdu le droit de prononcer sur la capacité des maîtres; l’autorité munici­pale, d’être dépouillée de l’administration ; le comité central, de voir ses pouvoirs conférés à quelques-uns de ses membres, et partagés avec le comité des dames; le comité des dames, d’être dépossédé de fait par une association impraticable et illusoire. Après quelques mois de conflit, le 22 décembre 1836, madame la comtesse de Bondy (présidente du comité) [201] informa M. le comte de Rambuteau que les dames, cédant à une douloureuse nécessité, déposaient leurs fonctions.» (2) Depuis ce moment jusqu’au 22 décembre 1837, l’autorité fut incertaine, il n’y eut point de règle, les Salles d’Asile de
Paris furent privées de la surveillance maternelle dont elles ont besoin. « Cet état de choses était contraire aux intérêts des Salles existantes et aux progrès de l’institution… Il importait d’y mettre un terme, et ce fut le but de l’organisation nou­velle » (3) que M. de Salvandy, ministre de l’instruction publi­que, proposa à l’approbation du roi, dans un projet d’ordonnance qui reçut la sanction royale et devint le code des Salles d’Asile.

(1) Mais M. Guizot, ministre de l’instruction publique, sentant que l’ap­plication de la loi dépouillait en effet le comité des dames de toutes ses attributions, et reconnaissant que de ce changement résulterait celui de la nature de l’institution, suspendit l’exécution delà loi, à l’égard des Salles d’Asile, et laissa subsister l’organisation qu’elles avaient reçue comme établissement d’utilité publique et de charité.

(2) Rapport au roi. (3) Même rapport.

« Cette ordonnance ne fait que reproduire exactement la loi du 22 juin 1833 , mais avec les modifications exigées par ce qu’il y a de spécial dans l’institution… Elle n’a pas insti­tué d’autorités nouvelles, et les autorités existantes sont res­tées indépendantes. » (1) Mais cette indépendance ne suffirait pas pour assurer la prospérité et la bonne direction des Salles
d’Asile. L’unité de vues et d’efforts peut seule produire cette prospérité et l’extension charitable d’une institution dont « le génie ne se trouve que dans le cœur des mères.» (2)

(1 et 2) Même rapport.

On doit donc former des vœux ardents pour que tous les pouvoirs appelés à concourir au soutien et à la direction des Salles d’Asile agissent dans un esprit d’union et de bonne harmonie , et qu’une seule pensée soit dans toutes les âmes, un seul désir dans tous les cœurs, afin que l’enfance indigente puisse être véritablement protégée, secourue et guidée, con­formément à ses intérêts dans le présent et dans l’avenir.

[202] CHAPITRE PREMIER. DES SUBVENTIONS ACCORDÉES PAR LE MINISTRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE.

Depuis que les Salles d’Asile ont été rattachées par or­donnance royale au ministère de l’instruction publique, elles sont portées sur le budget de l’Etat à côté des écoles. Le crédit ouvert pour elles par les chambres législatives s’est augmenté chaque année; il atteignait,en 1843, la somme de 300,000 fr., et l’on ne peut douter qu’il ne s’accroisse en proportion des besoins. Mais si la protection et la bonne volonté des cham­bres et de M. le ministre concourent à créer de si abondantes ressources, comment seront-elles appliquées? Beaucoup de villes et de communes ignorent qu’elles peuvent en profiter et n’en réclament pas l’assistance. Il est nécessaire qu’elles sachent que, pour l’obtenir, il suffit de la demander, en suivant toutefois la marche administrative. Les subventions accor­dées par M. le ministre de l’instruction publique ont surtout pour objet la fondation, l’organisation des nouveaux Asiles, ou l’amélioration de ceux qui sont déjà établis. On ne doit point compter qu’elles puissent se renouveler plusieurs années de suite. Pour y avoir droit, on doit même faire connaître quels moyens on aura de continuer l’œuvre qu’il s’agit d’entrepren­dre. Il en est ainsi à l’égard des écoles; l’autorité ministérielle ne peut que provoquer, aider à organiser, mais non pas entre­ tenir lorsque l’établissement est achevé. Toute demande de secours doit être adressée à M. le ministre de l’instruction publique par le préfet du département, et être appuyée des avis donnés par le comité d’arrondissement.

(1) Il serait à désirer que messieurs les recteurs fussent toujours con­sultés.

[203] La commission supérieure des Salles d’Asile peut suivre et hâter l’effet de ces demandes. M. le président de cette com­ mission correspond avec MM. les recteurs et les préfets, tandis que les dames qui la composent peuvent entretenir, selon l’autorisation de M. le ministre, des rapports directs avec les dames inspectrices, et recueillir ainsi des détails précis et circonstanciés servant à motiver les démarches auprès de l’autorité. Il est important d’inspirer non-seulement aux administrations municipales, mais aussi à toutes les per­sonnes charitables qui se senti raient portées à fonder des Salles d’Asile, la confiance d’être encouragées et soutenues par la protection et l’assistance du gouvernement. Depuis qu’a paru l’ordonnance, l’opinion générale est devenue de plus en plus favorable à l’institution des Salles d’Asile; et l’appui constant que leur a donné M. le ministre de l’instruction publique a puissamment contribué à leur extension. Cet appui ne leur manquera pas, mais il ne sera donné que suivant la mesure des efforts faits dans les localités qui peuvent le solliciter. C’est aux préfets et aux recteurs à faire sentir aux autorités municipales la nécessité de ces efforts. Il leur est facile de propager les idées relatives aux Salles d’Asile, puisque des relations fréquentes existent entre eux et les comités d’ar­rondissement, et entre les comités d’arrondissement et les comités locaux de surveillance, et puisque les préfets écrivent directement aux maires sur tout ce qui concerne les écoles. Que l’on se représente ce que produirait l’action simultanée de tous les préfets et de tous les recteurs, agissant de concert, avec un ferme désir de surmonter les obstacles, avec la per­sévérance qui fait naître un sincère dévouement aux intérêts de l’humanité. Qu’on nous permette de le dire, de promptes et énergiques tentatives sont indispensables lorsqu’il faut travailler à l’amélioration morale de tout un peuple. Ce n’est point en établissant les Salles d’Asile par centaines, mais en les fondant par milliers, qu’on peut y concourir de la manière la plus efficace.

[201] Que l’on calcule combien d’enfants grandissent sans rece­voir une instruction suffisante, sans même en recevoir aucune ; combien sont élevés dans les ténèbres de la plus entière igno­rance sur tout ce qui touche à la religion, à la morale, aux de­voirs de l’homme et du chrétien, et sont entraînés au mal dès leur plus jeune âge; et l’on comprendra si l’on peut ajourner la fondation des Salles d’Asile. Dans la plupart des communes agricoles, dans les districts manufacturiers, les enfants tra­vaillent dès qu’ils en ont la force; par ce motif, ils ne peu­vent aller aux écoles. Il serait donc indispensable de leur donner, dans les Salles d’Asile, les premiers éléments de l’in­struction primaire, et d’y faire naître dans leur cœur et dans leur intelligence l’horreur du mal et l’amour du bien. Mais ces résultats si importants ne peuvent s’accomplir que si l’on multiplie les Asiles, et, pour les multiplier, il faut des res­sources abondantes. On doit donc désirer que de toutes parts soient adressées des demandes de subvention à l’autorité ministérielle, et qu’en même temps la charité inspire aux fondateurs le zèle et le courage d’entreprendre et de conti­nuer l’œuvre qui, plus que toute autre, contribuera au bon­heur des classes indigentes.

Nous avons mentionné plus haut le travail des enfants dans les manufactures. Ce sujet a déjà excité la sollicitude et l’in­térêt des chambres législatives. On a cherché à porter remède à un mal si grand; mais a-t-on réussi? Il faut voir de ses propres yeux ce qu’est la condition de ces pauvres enfants, observer avec un sentiment chrétien ou maternel leur expres­sion, la pâleur de leurs visages, l’affaiblissement graduel de toute vie morale en eux, pour comprendre réellement ce que leur situation a d’horrible et de révoltant pour l’humanité. A l’âge si tendre pour lequel tant de soins ont été reconnus indispensables, ces faibles créatures sont assujetties à des fatigues qui épuisent les forces de leur corps, et livrées à des exemples, des enseignements qui pervertissent leur cœur et inclinent leur âme vers le vice.

[205] Jadis toute une population fut réunie dans une vaste manufacture. (1) Alors les enfants y étaient occupés sans péril pour leur santé ni pour leur innocence, car c’était à leurs pères, à leurs mères, à leurs parents qu’ils étaient con­fiés; et sous l’influence de la haute intelligence, de la rare bonté qui veillait sur tous ces travaux, le faible était protégé, ses besoins étaient prévenus, et l’on sentait qu’un père avait adopté comme siens tous ces enfants. Il est encore des éta­blissements administrés avec cet esprit de charité et de pa­ternelle prévoyance; mais combien le nombre n’en est-il pas restreint !

(1) A Jouy, près Versailles.

[208] CHAPITRE II. DE LA CONSTRUCTION DES SALLES D’ASILE.

L’auteur du Manuel (1), et après lui le Règlement général des Salles d’Asile (2), ont indiqué avec détail et clarté les disposi­tions de local de ces établissements; et cependant elles sont loin d’avoir été partout comprises. Dans quelques Asiles on a commis à cet égard des erreurs fort préjudiciables au bien-être et même à la santé des enfants. Parfois on a donné une telle élévation aux marches des gradins que l’on ne peut en descendre sans courir les plus grands risques; on a négligé les précautions qui peuvent assainir la salle ou le préau; ou bien les cabinets d’aisance sont établis de manière à rendre impossible toute propreté ou toute habitude de décence. (3) Les plans et dessins placés par M. Cochin dans la première édition du Manuel, et reproduits dans celle-ci, avaient cependant fait connaître les dimensions et dispositions des Salles d’Asile. Il est très important de les étudier, afin de bien se pénétrer des exigences de cette institution.

(1) Pages 68, art. 75 et suivants.

(2) Titre Ier, art. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.

(3) Les cabinets d’aisance réclament une attention toute particulière. Lors de la formation des Asiles à Paris, on avait adopté un système de construction très défectueux, et il a fallu de longues années pour parvenir à l’améliorer, ce qu’on ne pouvait faire qu’en le changeant complè­tement; la commission supérieure y a contribué de tous ses efforts, et ce sujet lui a toujours paru si important, qu’elle ne s’est point lassée de le signaler comme un de ceux qui peuvent avoir la plus grande influence sur la moralité des enfants. —On déplore les habitudes de cynisme et de grossière indécence contractées par le peuple ; mais a-t-on lieu de s’éton­ner de ce que sont ces habitudes? Quels soins a-t-on pris pour les modi­fier ou pour les prévenir ? C’est dès la première enfance que doivent se former les sentiments honnêtes et délicats. L’enfant n’en trouvera que rarement l’exemple dans la maison paternelle ; si donc la Salle. d’Asile ne les lui inspire pas, où ira-t-il les puiser?—La commission supérieure a, dans ce but, adopté un plan de cabinets d’aisance aussi simple que peu dispendieux, et en a fait exécuter des modèles en petit; ce plan a été fort perfectionné dans plusieurs Asiles de Paris; mais ces perfectionnements entraînent des frais que toutes les localités ne pourraient supporter, et nous pouvons affirmer qu’ils ne sont point indispensables et que le petit modèle est suffisant.

[207] Toutes les fois qu’il s’agira de construire une Salle d’Asile, on fera sagement de suivre exactement les indications du Manuel et du Règlement general; et même on doit le faire. Mais il
peut être difficile de s’y conformer lorsqu’on est obligé d’ap­proprier un local déjà existant, ainsi qu’il arrive fréquem­ment. il faut alors s’attacher aux plus importantes de ces indications, et employer tous les moyens possibles pour les appliquer aux localités. Il faut surtout ne confier la direction des travaux qu’à des personnes ayant vu et bien examiné des Salles d’Asile, et comprenant l’esprit de l’institution et la na­ture des exercices.

La disposition de la salle, du préau et de la cour rend plus ou moins facile la surveillance des directeurs et des directrices. Il est indispensable que nulle parties enfants ne puissent échapper à leurs regards. Il est aussi de la plus grande importance de prévenir tout accident, en supprimant tout ce qui pourrait en occasionner, soit dans l’inégalité du sol, soit dans la disposition des portes, des fenêtres, des soupiraux de cave. Peut-être ces recommandations paraîtront elles super­flues; mais l’expérience a prouvé qu’elles sont bien loin de l’être, et a fait connaître combien d’erreurs sont commises dans la construction des salles, et combien il importe d’é­veiller sur ce point l’attention des fondateurs.

[208] CHAPITRE III. DES COMMISSIONS D’EXAMEN ET DES BREVETS D’APTITUDE.

« Les exercices d’enseignement seront exactement renfermés dans les limites de l’instruction la plus élémentaire (art. 51 du Règlement général des Salles d’Asile); » mais toute personne qui aspire à la direction d’un Asile doit posséder la connaissance des méthodes et des exercices; l’aptitude à donner les soins de surveillance maternelle et l’habileté à diriger une Salle d’Asile dans les exercices et dans les ré­créations. » (Programme du 6 février 1838.)

Il est facile de comprendre, d’après cet exposé, combien l’instruction des directeurs et directrices d’Asile réclame d’attention de la part des commissions d’examen. On ne peut
se lasser de le répéter, la bonne tenue d’une Salle d’Asile dé­pend entièrement de la personne chargée de la diriger. Si cette personne n’est instruite que superficiellement, si elle n’a
pas compris la grandeur de la mission qui lui doit être con­fiée, elle ne saurait remplir convenablement cette mission si belle, mais souvent si pénible.

Jusqu’ici deux obstacles se sont opposés au perfectionnement, sous ce rapport, de l’institution des Salles d’Asile. On n’a pas compris suffisamment combien il est difficile de former de bons maîtres et de bonnes maîtresses, ou bien on ne s’est pas appliqué avec une assez grande force de volonté à cette œuvre importante. Déclarer que toute personne qui aspire à la direction d’un Asile doit posséder la connaissance, l’aptitude, l’habileté, mais ne pas se mettre en peine de com­muniquer cette précieuse connaissance, cette aptitude indis­pensable, cette habileté de laquelle dépend le succès, ne suffit [209] pas plus qu’il ne suffirait de vouloir recueillir là où l’on n’a point semé. L’œuvre des Salles d’Asile est encore si nouvelle en France que grand nombre de personnes ignorent ce qu’elle doit être; et de là vient l’imprévoyance avec laquelle on confie la direction d’un Asile. Dans les dispositions de l’ordonnance, on distingue le choix des maîtres et des maîtresses par les commissions d’examen, et le choix des membres de ces mêmes commissions par les préfets. Nous serait-il permis de dire que ces deux choix sont aussi importants l’un que l’autre? Les commissions d’examen peuvent rendre d’immenses services, et l’on peut affirmer que d’elles dépend l’avenir des Salles d’A­sile. Mais il faut que chaque personne appelée à en faire partie ait véritablement à cœur de s’instruire préalablement elle-même de tout ce qui se rapporte aux Salles d’Asile ; qu’elle étudie la nature, l’esprit de cette institution, les moyens re­connus les meilleurs pour la développer et assurer sa prospé­rité; qu’à cette étude elle joigne l’expérience pratique des Salles d’Asile; que ce soit surtout au milieu des enfants qu’elle réfléchisse, et s’éclaire par des observations souvent réitérées. Nous osons former le même vœu pour tous ceux qui prennent part à la fondation et à la surveillance des Salles d’Asile, pour toutes les autorités, tous les fonctionnaires aux­ quels la loi confie ces établissements. Si ce vœu ne se réalise pas, le nombre des Asiles augmentera, mais l’institution per­dra toute sa force morale et ne portera pas les fruits qu’elle peut produire pour l’éducation des classes pauvres, pour la répression du mal et l’extension du bien.

Il vaut mieux ne pas faire partie d’une commission d’exa­men que d’y entrer sans avoir pris avec soi-même l’engage­ment de remplir consciencieusement cette tâche délicate et difficile. La bonne harmonie, la plus entière impartialité, la vigilance, le discernement et la charité, doivent régner con­stamment au sein des commissions d’examen. Toutes les opé­rations, toutes les délibérations doivent s’accomplir avec calme, réflexion, douceur et gravité. On peut donc facilement comprendre combien il est indispensable que ces dispositions [210] se trouvent en toutes les personnes réunies pour former ces commissions; c’est à cet égard que leur choix est d’une si
grande importance; et ici la supériorité d’esprit, d’intelli­gence, d’instruction, est bien moins nécessaire qu’une tendre et vive sollicitude pour l’enfance, que le sentiment juste et vrai de la nature de l’œuvre des Asiles.

Les examens se divisent en trois parties : 1° l’examen mo­ral; 2° l’examen pratique; 3° l’examen d’instruction.

L’examen moral se compose de la recherche approfondie de tout ce qui concerne les candidats. Ils sont tenus de présenter des certificats de moralité, et aucun n’y manque; plusieurs même y joignent des lettres pressantes de recommandation ob­tenues de personnes dignes de confiance; mais l’on ne doit pas se borner à ces témoignages. Il est indispensable d’aller soi-même aux informations, de s’enquérir le plus en détail possible de tout ce qui touche au caractère, à la conduite, aux habitudes des personnes qui se présentent. A Paris,une examinatrice permanente remplit ces fonctions; mais dans les départements,où ces fonctions n’existent pas, les commissions doivent procéder à cette enquête, ou pourvoir à ce qu’elle puisse avoir lieu. Que jamais on ne s’écarte d’une stricte fermeté à l’égard de la moralité des candidats; il peut en coûter beaucoup d’a­voir à repousser des personnes qui ont été plus malheureuses que coupables ; le cœur s’émeut à la pensée de leur fermer une carrière qui serait pour elles un abri contre l’infortune ou les dangers; mais on doit considérer que le directeur ou la directrice d’une Salle d’Asile doit obtenir le respect des parents qui lui confient leurs enfants, et que son exemple est pour eux un enseignement plus puissant que ses paroles. A Paris aussi une seconde examinatrice permanente est chargée du soin de constater le degré d’instruction des aspirants et aspirantes. Elle les examine sur la lecture, l’écriture, l’ortho­graphe, le calcul, la géographie, l’histoire sainte; et pendant la durée du cours normal de la méthode d’enseignement et d’exercices, elle donne trois fois par semaine des leçons aux candidats réunis. Dans les départements, il faut encore que [211] les commissions d’examen avisent aux moyens de remplir cette tâche, car il ne suffirait pas d’attendre au jour des exa­mens publics pour reconnaître ce que les candidats possèdent d’instruction et pour leur indiquer quelles parties de cette instruction ils doivent travailler à étendre. Il est aussi néces­saire de les exercer à répondre avec justesse et clarté aux innombrables questions que font les enfants à mesure que leur intelligence se développe ; et pour cela les aspirants doivent être interrogés dans des exercices particuliers sur nombre de sujets ; les plus familiers seront les meilleurs. Si une direc­trice d’Asile sait observer et peut rendre compte avec facilité de ses observations, elle sera certainement capable de bien développer l’intelligence des enfants, chez lesquels il s’agit surtout de faire naître le désir de s’instruire et l’habitude de la réflexion ; car dans les Asiles on apprend à apprendre, s’il est permis de s’exprimer ainsi, en même temps que le cœur et la conscience subissent une influence qui fait fuir le mal et prendre plaisir au bien. L’enquête sur la moralité des can­didats et l’examen prolongé de leur capacité intellectuelle sont donc également indispensables.

L’examen pratique a lieu dans une Salle d’Asile, et il est désirable que ce soit dans celle où les procédés de la méthode ont été communiqués à l’aspirant ou à l’aspirante; car les enfants seront plus dociles que s’ils lui étaient inconnus. A Paris, où le nombre des candidats est considérable, on ne peut consacrer plus d’une demi-journée à l’examen pratique de chacun, c’est-à-dire deux heures de classe, et le temps de récréation qui les précède où les suit; mais il serait préfé­rable d’y donner plus de temps, afin de pouvoir juger avec plus de certitude; car telle personne sera intimidée pendant les premières heures et ne se rassurera que plus tard ; si donc ses moyens se trouvent paralysés, on ne pourra point appré­cier ce qu’elle est capable de faire. Telle autre, au contraire, débutera d’une manière favorable, mais ne saura pas être toujours égale, soit dans les communications à faire aux en­fants, soit dans les soins à leur donner. A ce sujet l’on ne [212] peut trop insister sur la nécessité absolue de n’établir de cours normal que dans les Asiles bien dirigés, et de ne jamais placer les candidats que près de directeurs ou de directrices capables non-seulement de les bien instruire par leurs leçons et leur exemple, mais aussi de les observer, et de reconnaître leurs dispositions apparentes ou cachées.

A l’examen pratique succède l’examen d’instruction, subi en public devant la commission. A Paris, cet examen se compose ainsi qu’il suit : dictée de quelques lignes dans lesquelles on fait
souligner les verbes, les substantifs et les adjectifs. Lecture d’une portion du Manuel des Salles d’Asile, analyse et dévelop­pement des idées qui y sont contenues, lecture et explication d’un fragment des saints Evangiles. Dictée d’un exercice d’ad­dition, soustraction, multiplication et division ; dessin des figures géométriques les plus élémentaires. Leçon de choses, c’est-à-dire récitsur un sujet quelconque pris dans la nature ou l’industrie; par exemple les vers à soie, le lin, le blé, la vigne; la fabrication de la soie, de la toile, du pain, du vin, etc. Ces examens peuvent être infiniment étendus et perfectionnés, sans qu’on s’écarte toutefois des conditions du programme; mais on ne saurait appuyer trop fortement sur l’obligation de ne jamais perdre de vue qu’il s’agit de l’éducation (bien plu­tôt que de l’instruction) de petits enfants, et que ce qui serait bien dans une école, ne l’est pas dans une Salle d’Asile.

Les commissions d’examen reconnaîtront inévitablement chez les candidats des capacités diverses : chez l’un, l’intel­ligence , l’instruction ; chez l’autre, la bonté, la patience, la douceur, l’instinct de l’œuvre. Parfois tous ces dons se trouveront réunis, mais c’est le plus rarement; bien plus fré­quemment ils seront séparés. La nécessité d’une appréciation juste et rigoureuse de la valeur morale et intellectuelle de chaque candidat ne peut être assez hautement proclamée; et sur ce point les commissions, celle de Paris surtout, sont souvent dans une pénible perplexité. Lorsque les qualités morales les plus importantes pour l’œuvre des Asiles se ren­contrent chez une aspirante, il est véritablement douloureux [213] de refuser le brevet d’aptitude parce que les exercices d’orthographe ou de calcul n’auront pas été satisfaisants, ou parce que l’instruction proprement dite ne sera pas re­connue suffisante. L’on regrette alors le dévouement, les soins maternels et charitables que les enfants eussent pu re­cevoir, et qui, dans quelques modestes localités (1), auraient produit tant de bien. La création de brevets de deux natures, celui pour la direction des Salles d’Asile et celui pour la di­rection des Salles de Surveillance remédierait à cet incon­vénient. Par là on pourrait exiger davantage des candidats qui aspireraient au degré supérieur, et l’on ne serait pas obligé de repousser des personnes moins instruites, mais of­frant toutes les garanties désirables. Lorsqu’un aspirant reçu à Paris s’en va au loin présenter son brevet aux autorités des villes, ce brevet ne peut le faire apprécier avec exactitude; mais on saurait avec plus de justesse ce qu’on peut attendre des candidats si ces brevets étaient de deux degrés, et les commissions d’examen y trouveraient un grand repos de conscience.

[214] CHAPITRE IV. DES ASILES DES PETITES LOCALITÉS, OU SALLES DE SURVEILLANCE.

Si l’aspect d’un vaste et bel Asile inspire un sentiment de surprise et d’admiration, la vue d’une humble salle, réduite à de plus modestes proportions, fait naître un intérêt non moins vif et peut-être plus doux encore. L’établissement con­struit et soutenu à grands frais ne peut convenir qu’aux lo­calités riches et importantes; mais celui qui n’exige ni les mêmes dépenses, ni les mêmes ressources, peut être fondé en tous lieux et répondre à d’immenses besoins. Le nombre
des communes dont la population est au-dessous de 1,500 âmes s’élève en France à 35,190.

Ne pas trouver le moyen de faire participer aux bienfaits des Salles d’Asile le nombre immense d’enfants qu’elles contien­nent serait un grand malheur; car si l’on reconnaît que cette institution peut contribuer, plus que toute autre, au bien moral et physique des générations naissantes, on ne doit pas en refuser les avantages à une portion si considérable de la population. Presque partout, une directrice d’Asile, religieuse ou laïque, peut trouver un salaire suffisant pour assurer son existence ; à cet égard, on sera rarement arrêté. Mais il n’en est point de même pour la construction et le loyer des Salles, et c’est sur ce point qu’il serait désirable d’admettre et de propager des idées nouvelles. Pour les faire comprendre, nous allons dé­crire la Salle d’Asile ou Salle de Surveillance de quelque pau­vre village, telle qu’elle s’offre à notre pensée, et telle aussi que nous avons pu la voir déjà. L’édifice est une humble chau­mière ; 30 ou 40 enfants y sont réunis. Le matin, ils arrivent et s’ébattent dans l’enclos qui s’étend sous les fenêtres, ou [215] bien ils jouent dans une chambre garnie, à l’entour, de bancs de bois. Au signal donné, tous se mettent en ligne et font en chantant diverses évolutions; puis passent, toujours en bon ordre et marchant en mesure, dans une autre pièce où se trouve le gradin qui la remplit presque tout entière; mais en laissant libre néanmoins l’espace nécessaire pour le porte-tableau et la chaise de la directrice. Là les leçons sedonnent comme dans les plus vastes Asiles; lorsqu’elles sont achevées, les marches, les chants et les évolutions recommencent. On retourne dans la salle aux bancs, puis dans le jardin, et le changement fréquent de place, le renouvellement fréquent aussi de l’air dans les chambres prévient les inconvénients qui naissent de l’exiguité d’un local; mais on doit insister fortement sur la nécessité d’une ventilation soigneusement établie, choisir une maison salubre et bien aérée. Dans les beaux jours, on quitte l’étroit jardin; et toute la petite troupe, chantant et mar­chant en ligne, va chercher le soleil ou la fraîcheur sur quel­ que pelouse, ou sous quelque ombrage où les exercices et les leçons continuent. Pendant trois ans, 60 enfants ont été gardés ainsi dans un village des environs de Paris, et ils n’en étaient ni moins heureux ni moins bien soignés. L’instruc­tion donnée aux enfants de la campagne peut être beaucoup plus variée et même plus étendue que celle que peuvent rece­voir ceux de la ville ; car mille objets frappent leurs regards et s’offrent d’eux-mêmes à leur attention. Les travaux des champs, leurs productions, les changements des saisons, les mœurs des animaux, fournissent à chaque instant des sujets de leçons que l’esprit le moins cultivé peut développer d’une manière intéressante et instructive. Dans le chapitre qui traite des brevets d’aptitude, nous avons parlé des Salles d’Asile des petites localités, et dit déjà que, pour leur direc­tion, on doit exiger la possession d’un brevet. Nous insistons ici sur cette importante nécessité ; car il faut qu’un examen ait pu faire constater si la directrice qui se présente pos­ sède, nous ne dirons pas l’instruction, mais l’intelligence et [216] le bon sens indispensables pour pouvoir donner aux enfants les leçons que nous venons d’indiquer. La création de Salles de Surveillance serait le seul moyen de faire disparaître les agglomérations d’enfants, réunis sous une même surveillance et soumis à une discipline qui n’est communément que celle de l’ignorance et de la contrainte, ainsi qu’on en voit dans toutes les communes et dans toutes les villes dépourvues de Salles d’Asile. L’existence de ces sortes d’écoles, qu’on pour­ rait appeler gardiennes, est véritablement forcée; car les enfants ne peuvent être livrés à l’abandon. Mais reconnaître aux personnes qui les dirigent le droit de recevoir et de gar­der ces enfants sans remplir les obligations imposées par la loi, est une injustice envers celles qui s’y soumettent, et sanc­tionne un état de choses qu’on devrait bien plutôt s’empres­ser de changer. Nous avons dit plus haut que l’aspect d’un humble et modeste Asile peut causer un sentiment plus doux encore que celui d’une grande réunion d’enfants. C’est qu’il offre vraiment l’ensemble d’une grande famille; les enfants, peu nombreux, sont mieux connus et mieux soignés, et, destinés à vivre et à vieillir dans des rapports intimes, ils apprennent, dès la plus tendre enfance, à s’aimer et à s ’entr’aider, et deviennent véritablement frères.

Puisse donc l’idée que nous exposons ici être comprise, mûrie et mise en pratique pour le bien de tant de milliers d’innocentes créatures’qui, dans les campagnes, sont aussi exposées aux dangers de l’isolement, à la déplorable conta­gion de l’ignorance, à l’engourdissement des facultés, et au développement du germe de tant de vices inhérents à la nature humaine !

[217] CHAPITRE V. DU MAINTIEN DE L’UNIFORMITÉ DE LA MÉTHODE.

Le nombre des Salles d’Asile n’a pas encore augmenté en France d’une manière qui réponde aux besoins de la popu­lation, et cependant on a pu constater déjà combien il est difficile d’y maintenir l’uniformité de la méthode. On doit sans doute applaudir aux efforts qui ont pour but l’exten­sion de l’institution des Asiles; mais on peut déplorer que souvent ils ne soient pas dirigés avec une connaissance plus complète de la nature de cette institution. Il est vrai que mille Salles d’Asile ne peuvent pas être identiquement sem­blables, et qu’il doit s’y trouver, au contraire, une grande diversité. Néanmoins toutes doivent offrir les mêmes exer­cices, les mêmes moyens d’occuper et d’amuser les enfants. Cela est indispensable non-seulement pour le bien-être et le bonheur de ces enfants, mais aussi dans l’intérêt des maîtres et des maîtresses; car il résulte pour eux de l’absence de la méthode beaucoup plus de fatigues, de difficultés et d’ennuis; les enfants, dominés par la contrainte, cherchent toujours à s’y soustraire, et si l’Asile se trouve transformé en école, l’on ne peut éviter qu’il en soit ainsi. Il y a, d’un côté, ce danger à écarter, et, d’un autre, celui de n’ouvrir que des garderies d’enfants. Qu’on pardonne cette expression si peu française qu’elle soit, car il n’y en a pas d’autres qui puis­ sent rendre ce que sont certaines réunions d’enfants. L’in­stitution des Salles d’Asile, telle qu’elle est définie par l’or­donnance, a une si grande importance pour l’avenir, que tout ce qui peut compromettre la réalisation de ce mode d’éducation maternelle doit être l’objet de la plus sérieuse [218] attention. Il est pénible de déclarer que de grands pas ont été faits vers la confusion et le désordre. Des Salles d’Asile ont
été fondées avec des dépenses considérables, mais sans en être pour cela mieux organisées ni mieux tenues. Dans quel­ques-unes, la disposition du local, des gradins, des bancs, est entièrement défectueuse; dans quelques autres, la méthode est complètement ignorée ou abandonnée.

Est-il possible de ne pas s’en affliger? est-il possible de ne pas réclamer contre cet état de choses? Il est d’autant plus urgent de le faire, que le mal n’est pas senti comme il devrait l’être. Les personnes, pleines de zèle et de charité, qui fon­dent des Asiles, sans s’astreindre aux règles établies et rigou­reusement nécessaires, n’agissent ainsi que parce qu’elles n’ont point une connaissance suffisante de ces règles ; et cette connaissance, elles ne peuvent l’acquérir, car elles ne savent pas qu’elle existe. Il serait donc indispensable que des Salles d’Asile modèles fussent fondées, dans chaque académie de France, sous les yeux du recteur, et dirigées par des maîtres ou des maîtresses instruits à Paris et ayant déjà fait leurs preuves de capacité, soit dans des examens prolongés, soit en exerçant dans les Asiles de cette ville les fonctions d’ad­joints. Dans ces Salles d’Asile modèles s’instruiraient non-seulement les aspirants et les aspirantes, mais aussi les mem­bres des commissions d’examen, les dames inspectrices, et toutes les personnes qui, par devoir ou par inclination, ont à s’occuper des Salles d’Asile.

Travailler à étendre cette institution doit être une œuvre de conscience et de dévouement. Il faut avoir à cœur de faire le mieux possible, non avec une présomptueuse confiance en soi-même, mais en cherchant avec sincérité à s’éclairer et à s’instruire. Lorsqu’il s’agit d’écoles, on sait bien s’enquérir de tout ce qui constitue leur organisation, on ne les confie qu’à des personnes aptes à les bien diriger. Et. ce qui est nécessaire pour les écoles ne le serait pas pour les Salles d’Asile? Puisse une telle opinion ne jamais prévaloir !

La méthode en usage dans les Salles d’Asile n’est pas, il est [219] vrai, parvenue à un degré de perfection tel qu’elle ne soit susceptible d’aucune amélioration; elle peut, au contraire, être modifiée à certains égards; mais ces modifications ne devraient être essayées qu’avec une extrême circonspection, et qu’après avoir été mûrement pesées. Le secret a été trouvé de maintenir en ordre et de rendre heureux et gais un grand nombre d’enfants réunis : pourquoi ne chercherait-on pas à en profiter? Si l’on s’écarte de la méthode, il faut que ce soit pour faire mieux qu’on ne fait en se servant d’elle; mais on doit comparer, et ne juger qu’avec sagesse et connaissance de cause; agir par prévention et sans vouloir s’instruire, est également condamnable. Puisse donc une louable émulation s’établir! et puissent tous les amis de l’enfance se sentir pressés du besoin d’assurer son bonheur par tous les moyens que le temps et l’expérience ont sanctionnés !

[220] CHAPITRE VI. DE LA DIRECTION DES SALLES D’ASILE CONFIÉE AUX SOEURS DES
COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES.

Lorsqu’on 1826 s’ouvrit à Paris la première Salle d’Asile d’essai, on s’adressa vainement à plusieurs communautés religieuses pour obtenir des sœurs. Celle de la Providence, établie à Portieux, département des Vosges, fut la seule qui consentit à s’associer à cette humble entreprise. M. l’abbé Desgenettes, alors curé des Missions étrangères, présidait le comité des dames qui désiraient non-seulement reprendre l’œuvre charitable commencée en 1801 par madame la mar­quise de Pastoret, mais y joindre l’application de la méthode si ingénieusement créée en Angleterre. Un des meilleurs ouvrages écrits sur cette méthode, par le maître même qui l’a perfectionnée (1), avait été traduit, ainsi qu’un autre ouvrage de Goyder. Ces deux manuscrits sous les yeux, on essaya d’instruire les sœurs. Deux dames se dévouèrent à cette tâche avec une infatigable persévérance, mais ce fut inutile­ ment; car il y a dans la méthode d’enseignement des Salles d’Asile des choses insaisissables par l’intelligence seule et qu’il faut voir des yeux pour les comprendre. Alors M. Cochin et madame Millet allèrent en Angleterre chercher cette précieuse méthode, et l’appliquèrent aux Asiles de France avec une rare sagacité, modifiant ou innovant, selon qu’il était nécessaire.

(1) Wilderspin.

Aujourd’hui les communautés religieuses ont presque toutes reconnu combien la création des Salles d’Asile est im­portante pour la morale et la religion. Non-seulement ces [221] communautés accordent facilement des sœurs, mais il s’en est établi qui sont spécialement dévouées aux Salles d’Asile (1). C’est une preuve nouvelle de la beauté de l’institution qui a su
vaincre les préventions et faire apprécier ses résultats ; et c’est un immense bienfait, car la charité qui se dévoue peut seule surmonter tous les obstacles. Mais pour que ce bienfait
porte réellement de bons fruits, il est urgent que les Salles d’Asile, dirigées par des sœurs, ne soient pas placées en dehors des règles établies, et qu’on ne puisse pas s’y sous­ traire aux obligations qu’impose l’ordonnance dans les Asiles dirigés par des personnes laïques.

(1) Les sœurs de la Sainte-Enfance, dont la maison est à Sens.

L’art. 11 de l’ordonnance rappelle (1) que, « sur le vude leurs lettres d’obédience, les sœurs, appartenant à une congréga­tion religieuse dont les statuts sont régulièrement approuvés,
pourront être autorisées par le recteur à tenir une école pri­maire élémentaire. »

(1) Note de l’art. 1.

Et cette disposition se trouve appliquée aux Salles d’Asile, sans qu’il soit fait mention des examens ni des brevets d’ap­titude. Dans plusieurs circonstances néanmoins, les sœurs qui avaient accepté des directions d’Asile ont pensé que l’ordonnance ne les dispensait pas de s’instruire de la mé­thode, et elles sont venues l’étudier dans des Salles d’Asile bien dirigées, et entre autres dans l’Asile Cochin. Mais nom­ bre d’entre elles n’ont pas rempli cette formalité, et on les a mises au milieu des enfants, sans qu’elles sussent comment on peut les tenir dans l’obéissance et les amuser néanmoins. Ces bonnes et pieuses filles pouvaient-elles le deviner? Non, sans doute. Elles ont fait de leur mieux, se sont donné des peines infinies, ont fatigué jusqu’à l’épuisement leur corps et leur esprit, et les Asiles n’en étaient pas moins mal tenus ; car rien ne peut suppléer à la méthode. L’attention la plus soutenue, le dévouement le plus entier, ne suffisent pas pour maintenir en bon ordre un grand nombre de très jeunes enfants [222] ; tandis que l’habitude des petits exercices, des marches et des évolutions en usage dans les Asiles, rend ces enfants tranquilles et soumis, lors même que la personne qui les sur­ veille n’est pas aussi dévouée à son devoir qu’elle devrait l’être. Il est donc dans l’intérêt des sœurs d’adopter la méthode et de nejamais se dispenser de l’étudier. Ce sont surtout les supérieures des communautés qu’il est désirable de con­vaincre de cette vérité; car c’est d’elles que dépend la réali­sation de ce vœu. Aussi longtemps que les sœurs ne seront pas tenues de subir les examens et de recevoir le brevet d’ap­titude qui seul constate la capacité de diriger une Salle d’Asile, il est du devoir des autorités auxquelles la loi confie la surveillance de ces établissements d’insister auprès de mes­dames les supérieures, afin d’obtenir qu’elles fassent instruire les sœurs qu’elles destinent à leur direction.

Mais ici se présente une difficulté. Une sœur aura suivi un cours normal ; elle en aura profité convenablement, et l’Asile qui lui est confié sera dirigé d’une manière satisfaisante. Cette sœur tombe malade, ou seulement même a besoin de repos; elle est rappelée au sein de la communauté. Une autre sœur est mise à sa place; celle-là n’a point étudié la méthode, et en quelques mois, en quelques semaines, l’Asile, si bien orga­nisé, devient une école; et les enfants si heureux, si gais pen­dant les heures mêmes de leurs petites classes, sont condam­nés à l’immobilité et à l’ennui des livres qu’ils ne peuvent déchiffrer.

Ce sont des faits réels et irrécusables que nous rapportons ici, non par un esprit de critique, mais avec l’ardent désir que par eux soit rendue de plus en plus évidente la nécessité de maintenir partout la pureté de la méthode. Les changements de sœurs seront toujours fréquents; il faut donc trouver le moyen de faire connaître cette méthode au sein même des communautés; et M. le ministre de l’instruction publique, sur la demande de la commission supérieure, a bien voulu allouer des fonds pour la faire enseigner dans les congrégalions reli­gieuses. Il va sans dire que les personnes chargées de cet [223] enseignement seront toujours des femmes recommandables par leur parfaite moralité et par des sentiments de piété sin­cère.

Il est encore un point sur lequel on doit insister auprès des supérieures lorsqu’on leur demande une sœur pour la direc­tion d’une Salle d’Asile; c’est qu’il ne suffit pas que cette sœur soit patiente et bonne, qu’elle soit douée d’intelligence etd’unedouce gaieté; il fautencore que l’instinct maternel se trouve assez développé dans son cœur pour qu’elle puisse comprendre les joies et les peines des enfants, deviner leurs sentiments secrets, réprimer leurs penchants vicieux, et com­patir à toutes leurs souffrances. Mais osera-t-on faire vibrer de telles cordes dans une âme qui, pour toujours, a renoncé au bonheur de la maternité ? Oui; car la charité la rendra
vraiment mère de toutes les jeunes créatures confiées à ses soins; et elle devra à ce sentiment pur et sublime les inspira­tions que la tendresse et l’expérience font naître et dévelop­pent dans le cœur des mères de famille.

[224] CHAPITRE VII. DE L’ENSEIGNEMENT RELIGIEUX

Le Manuel des Salles d’Asile ne contient que des idées gé­nérales à l’égard de l’enseignement religieux ; l’ordonnance royale, ne s’expliquant que brièvement sur ce sujet, laisse aux fondateurs et aux autorités compétentes le droit de ré­gler ce qu’il doit être dans chaque établissement. Il était difficile qu’il en fût autrement. L’ordonnance s’applique à tous les Asiles, et ne doit prescrire que ce qui peut être sans scrupule de conscience généralement adopté.

Nous imiterons la réserve de l’auteur du Manuel. Qu’il nous soit permis, néanmoins, d’insister ici sur quelques considé­ rations. (1)

(1) Les réflexions suivantes sont extraites en partie de l’Ami de l’enfance.

Pour beaucoup de personnes, un Asile ouvert aux petits enfants n’est qu’un établissement de bienfaisance, dans le­ quel les parents trouvent assistance et les enfants protec­tion. Mais cet Asile est plus encore; c’est un foyer de vie morale, de principes abondants d’instruction, dont les rayons lumineux doivent éclairer, animer une multitude de jeunes âmes, et par elles s’étendre et pénétrer au sein des familles. C’est un fait incontestable que les petits enfants reportent et transmettent à leurs parents les enseignements qu’ils ont re­çus, les paroles qui sont gravées dans leur mémoire. Si l’on considère ce fait, on sentira que la nature de cet enseigne­ment et le sens de ces paroles doivent être appropriés aux besoins des uns et des autres. II faut que le lait de l’enfant soit en même temps la nourriture plus substantielle de l’homme fait; mais cela semble impossible à concilier; car comment les leçons enfantines et maternelles qui conviennent [225] à l’enfance peuvent-elles être applicables à l’âge mûr? Nous pouvons répondre qu’elles le seront, quelle que soit leur forme, si, ramenant sans cesse les seuls principes féconds en vertus, elles s’adressent au cœur et attaquent à sa racine le germe de tout m al, de toute passion. La vérité est la même pour tous les âges ; l’homme ne peut être ni bon ni vertueux tant qu’il s’éloigne de son devoir, et ce devoir le ramène à Dieu ; il faut donc lui apprendre à le connaître. Mais ce n’est point assez ; le cœur et la nature de l’homme sont portés vers le mal; observez les plus jeunes enfants, ils en offriront la preuve et l’exemple aussi bien que ceux qui sont plus avancés dans la carrière. Les leçons religieuses et morales données au jeune enfant doivent toujours être telles qu’elles puissent le guider pendant tout le reste de sa vie, le soutenir dans les jours de l’adversité, le préserver dans les heures de tenta­tion et de péril ; arrivant les premières, ce sont elles qui s’im­priment le plus profondément dans l’âme. C’est donc une nécessité que les enfants reçoivent dans les Salles d’Asile les impressions morales qui doivent dominer toutes celles que le monde leur enverra, etquecesimpressionspuissentdétruire les germes de l’égoïsme naturel et faire succéder aux dispositions perverses les dispositions pures et vertueuses. Il faut, nous le répétons encore, que l’enseignement soit essentiellement
moral, et il ne saurait être moral s’il n’est religieux. Mais par le mot religieux, nous entendons plus que les formes seules de la religion.

Il est bon d’apprendre aux enfants à prier, à chanter des cantiques, à répéter ce qu’on juge nécessaire de leur en­seigner du petit catéchisme ; mais si l’on s’en tient là sans y joindre des instructions familières , douces et pénétrantes, s’adressant au cœur et à la conscience des enfants, on ne saurait atteindre le but.

Le moment et le sujet de ces instructions ne peuvent être ni fixés, ni prévus. La moindre circonstance suffît pour y donner lieu, et une attention constante à profiter des occa­
sions qui peuvent s’offrir les amènera naturellement.

[226] CHAPITRE VIII. DU DEVELOPPEMENT PRECOCE DE L’INTELLIGENCE (1)

(1) Extrait de L’Ami de l’enfance.

Un des buts de l’institution des Salles d’Asile est de favo­riser le développement moral et intellectuel des enfants, dès les premières années de leur existence. On ne saurait se trop pénétrer de l’importance d’atteindre ce but; aussi doit-on bien comprendre de quelle manière et dans quelle pro­portion il faut y travailler. Autant il est regrettable de lais­ser s’éteindre, engourdies, les facultés qui sont le noble apa­nage de l’âme formée à l’image du Dieu créateur, autant il peut être funeste d’exercer trop fortement ces mêmes facultés, et de produire une excitation dont les effets sont également nuisibles à l’âme et au corps. En toutes choses, faire assez et ne pas faire trop est difficile; mais en éducation on ne peut se heurter contre un de ces écueils sans qu’il en résulte de sé­rieux dommages. A quiconque n’a pas étudié attentivement les petits enfants et leur organisation morale si prompte, si vive, si puissante, il peut paraître étrange de parler d’une trop grande excitation intellectuelle. Parce que ces jeunes créatures rient et pleurent dans la même minute, parce que leur mobilité d’impression est extrême, on ne se représente pas le travail intérieur qui se fait dans leur cœur et dans leur intelligence; on admire le jeu de leurs fraîches physionomies reflétant mille petites peines et mille petites joies, et l’on ne voit pas celui de leur cerveau, ni cette tension nerveuse qu’on provoque souvent à plaisir, et qui ébranle l’être organique, si délicat et si frêle encore.

[227] De même que des plantes rares et précieuses ne peuvent se développer et s’épanouir que dans une atmosphère pré­parée pour elles, de même il faudrait que les jeunes enfants ne reçussent que des impressions en harmonie avec leurs forces vitales. On l’a senti lorsque l’institution des Salles d’Asile a pris naissance; et c’était l’influence de cette vérité qui rendait plus puissant encore le sentiment de compassion qu’inspirent les souffrances auxquelles les enfants des classes indigentes ne peuvent échapper. Ces pauvres petites créa­ tures, trop souvent maltraitées ou abandonnées à elles-mêmes, languissaient dans la misère et les privations de tout genre; on a donc ouvert pour elles des lieux de refuge et de protection. Privées de tout moyen d’instruction et de déve­loppement intellectuel, elles croissaient dans l’ignorance, l’oisiveté; on a cherché à détruire ce mal, et les plus ingé­nieuses méthodes d’enseignement ont été appropriées à leur âge. Mais ces méthodes, qui réussissen t si puissamment à faire jaillir les trésors de l’intelligence de l’enfant, pourraient de­ venir des moyens dangereux si la prudence n’apprenait à les employer avec ménagement.

On retrouve dans les Salles d’Asile ce qui n’est que trop ordinaire dans les collèges et dans la plupart des établisse­ments d’éducation publique, c’est que les enfants les plus in­telligents sont plus vivement stimulés que les autres, et que sur eux se concentrent les soins, les efforts et l’intérêt des maîtres. Pourquoi cela? parce qu’ils obtiennent des succès dont on se fait honneur. Mais ces succès, comment les amènet-on, et que produisent-ils dans l’âme, le cœur et la santé des enfants? D’abord, les moyens employés pour les obtenir sont en général peu conformes aux principes d’une éducation sagement dirigée; car c’est toujours l’amour-propre et l’or­gueil, cachés sous le nom d’émulation, qui servent de sti­mulants. On a beau reconnaître que dans les Salles d’Asile l’attention et les soins doivent s’étendre à tous, et que tous doivent être traités avec une égale mesure de justice et d’in­térêt, il est positif que peu de maîtres et de maîtresses sont [228] à l’abri du reproche de s’occuper de préférence des enfants les plus intelligents, et de toujours les mettre en scène lors­ qu’il vient des étrangers. C’est un grand mal. Ces enfants doivent concevoir d’eux-mêmes une opinion trop favorable; ils doivent s’habituer ainsi à se voir apprécier plus que les autres, à leur être supérieurs; et tandis que cet effet funeste s’accomplit en eux, d’autres enfants, dont les facultés intellec­tuelles sont proportionnées à leur âge et aux forces de leur petit corps, sont laissés de côté, parfois dédaignés et humiliés par le parallèle qu’on fait entre eux et leurs camarades plus avancés. De là naissent la tristesse, le découragement et l’en­vie, la plus fatale de toutes les dispositions pour soi et pour les autres. Nombre de maladies sont aussi occasionnées, chez les jeunes enfants, par le travail forcé de leur intelligence, et par l’excitation d’esprit, d’imagination et d’impressions qui est entretenue en eux. C’est donc par l’effet de cette con­viction que nous redisons encore aux personnes qui s’occu­pent de la surveillance des Salles d’Asile , qu’il est urgent d’éclairer les maîtres et les maîtresses sur le danger de sti­muler trop fortement l’intelligence des enfants. Mais qu’elles comprennent bien que ce que nous disons à l’égard de l’in­telligence, c’est-à-dire des facultés intellectuelles, ne se rap­porte pas à l’éducation du cœur. On ne peut donner à l’enfant une connaissance trop complète de son devoir; on ne peut lui inspirer trop d’amour pour Dieu et pour ses semblables; on ne peut trop chercher à le rendre pieux, docile, affec­tueux; à développer en lui tous les bons germes, et à com­battre tous les penchants vicieux ; car en le mettant dans un état de paix et de bien-être moral, on contribue au dévelop­pement de ses forces et à l’affermissement de sa santé. On voit des enfants malades de colère, de jalousie; et chez eux l’irritabilité nerveuse n’est que trop fréquemment occasionnée par des sentiments et des impressions qu’il est nécessaire de réformer. Pourtant on peut encore appliquer ici une partie de ce que nous avons dit plus haut; ce n’est point des enfants le plus heureusement doués des qualités du cœur que le [229] maître doit s’occuper davantage, mais bien plutôt de ceux qui le sont moins. Sa patience, sa persévérance, son atten­tion constante doivent alors être infatigables, et ne jamais cesser.

Tout cela, nous en convenons, exige beaucoup de sagesse et de discernement. Nous retombons donc sur cette vérité dont on ne sera jamais trop convaincu, c’est que de la per­sonne chargée de l’enseignement et de la direction d’une Salle d’Asile dépend, en quelque sorte, la destinée présente et future des enfants qui lui sont confiés. Combien donc est grande et sacrée l’importance du choix d’un maître ou d’une maîtresse! Combien serait répréhensible, funeste, condam­nable , la légèreté avec laquelle on les accepterait par tel motif ou telle considération! Combien est déplorable l’apa­thie, l’indifférence avec laquelle ils sont parfois surveillés, dirigés dans l’accomplissement de leurs devoirs ! L’œuvre des Asiles est telle par sa nature, par ses effets, que ce n’est qu’en s’y dévouant de cœur et d’âme, qu’en y portant un sentiment profond et solennel de devoir et de conscience, qu’en agis­sant en la présence de Dieu et non en celle des hommes, qu’en sentant les étreintes d’une pure et vive charité, et, disons-le en un mot, qu’en marchant par la foi et la charité chrétienne, qu’on peut concourir à son accroissement et à ses progrès.

Amis des pauvres, mères chrétiennes qui avez pitié des souffrances de l’enfance délaissée, consacrez vos pensées, vos efforts, quelques portions de votre temps à la création, au soutien, à la surveillance des Salles d’Asile; pénétrez-vous de la grandeur morale de cette institution ; sentez quelle est la tâche imposée aux maîtres; sachez la leur définir, et partagez-en avec eux la responsabilité : vous seuls pouvez affer­mir cette œuvre et la rendre féconde en résultats heureux et durables.

[230] CHAPITRE IX. DE L’INCONVÉNIENT DES VACANCES DANS LES SALLES D’ASILE.

Les Salles d’Asile sont ouvertes pour les petits enfants « que leurs parents pauvres ou occupés ne savent pas com­ment garder chez eux » (circulaire ministérielle du 2 juil­let 1833). Accorder des vacances dans des établissements de cette nature, c’est méconnaître le but dans lequel ils ont été fondés. Que deviendront les enfants pendant la durée de ces vacances? Faudra-t-il que les parents renoncent à un tra­vail lucratif pour pouvoir les garder? ou bien ces jeunes créatures retomberont-elles dans l’abandon, et seront-elles de nouveau exposées aux dangers qui les menacent de toutes parts? L’auteur du Manuel, en donnant aux Asiles le nom de Salles d’hospitalité (épigraphe), ne les a-t-il pas placés sur la même ligne que les établissements destinés à l’enfance dé­laissée, à la maladie, à la vieillesse? Qui pourrait penser adonner des vacances dans un hospice? personne, sans doute. Ainsi la Salle d’Asile doit, être constamment ouverte, si ce n’est les jours fériés fixés par l’ordonnance. On oublie trop facilement combien celte disposition est sage et prévoyante. Ici l’on fermera l’Asile pour le moindre prétexte:, là on don­nera aux enfants (ou plutôt aux directeurs ou directrices) des vacances de plusieurs semaines. Cet usage existe en An­gleterre, en Écosse, et malheureusement il s’est établi aussi dans bien des villes en France. On ne peut trop fortement le déplorer; il serait digne de la charité et de la sollicitude des personnes qui ont fondé les Asiles qu’on ferme ainsi pour un temps de s’enquérir avec soin de la manière dont sont gar­dés les enfants qui s’en trouvent expulsés et de constater de combien d’accidents ils sont les victimes pendant cet in­tervalle. On verrait alors l’opinion devenir unanime sur la [231] Les Salles d’Asile sont ouvertes pour les petits enfants « que leurs parents pauvres ou occupés ne savent pas com­ment garder chez eux » (circulaire ministérielle du 2 juil­let 1833). Accorder des vacances dans des établissements de cette nature, c’est méconnaître le but dans lequel ils ont été fondés. Que deviendront les enfants pendant la durée de ces vacances? Faudra-t-il que les parents renoncent à un tra­vail lucratif pour pouvoir les garder? ou bien ces jeunes créatures retomberont-elles dans l’abandon, et seront-elles de nouveau exposées aux dangers qui les menacent de toutes parts? L’auteur du Manuel, en donnant aux Asiles le nom de Salles d’hospitalité (épigraphe), ne les a-t-il pas placés sur la même ligne que les établissements destinés à l’enfance dé­laissée, à la maladie, à la vieillesse? Qui pourrait penser adonner des vacances dans un hospice? personne, sans doute. Ainsi la Salle d’Asile doit, être constamment ouverte, si ce n’est les jours fériés fixés par l’ordonnance. On oublie trop facilement combien celte disposition est sage et prévoyante. Ici l’on fermera l’Asile pour le moindre prétexte:, là on don­nera aux enfants (ou plutôt aux directeurs ou directrices) des vacances de plusieurs semaines. Cet usage existe en An­gleterre, en Écosse, et malheureusement il s’est établi aussi dans bien des villes en France. On ne peut trop fortement le déplorer; il serait digne de la charité et de la sollicitude des personnes qui ont fondé les Asiles qu’on ferme ainsi pour un temps de s’enquérir avec soin de la manière dont sont gar­dés les enfants qui s’en trouvent expulsés et de constater de combien d’accidents ils sont les victimes pendant cet in­tervalle. On verrait alors l’opinion devenir unanime sur la [231] nécessité de réprimer cet abus. On objectera peut-être que les maîtres et les maîtresses ont besoin de repos, que leurs forces ne peuvent suffire à l’accomplissement continu et sans interruption des devoirs si fatigants de leur vocation. Nous ne nions pas cette vérité ; et nous croyons, au contraire, qu’elle doit être prise en sérieuse considération. Mais ne point donner de vacances dans un Asile, n’est pas en refuser à la personne qui le dirige. Lorsque le repos, ou même un peu de récréation, lui est nécessaire pour renouveler ses for­ces et ses facultés, laissez-la s’absenter pour le temps que vous jugerez convenable, ou autorisez-la à suspendre momentané­ ment les exercices habituels de l’Asile, et choisissez une per­sonne sûre, au fait ou non de la méthode, qui puisse garder et surveiller dans l’Asile tous ceux des enfants qui doivent y venir. Cette mesure est la seule concession que puisse per­mettre l’esprit de charité et de prévoyante sollicitude qui a dicté l’ordonnance royale du 22 décembre 1837 et le règle­ment général des Salles d’Asile. Les observations que nous présentons ici pourraient s’appliquer aussi aux écoles. Dans les grandes villes surtout, où les enfants ne peuvent pas sui­vre leurs parents dans les ateliers où ils travaillent, que deviennent-ils? quelles leçons reçoivent-ils dans les rues où ils passent la journée?quels exemples ont-ils sous les yeux ? Ah ! nous répétons ici ce que nous avons dit plus haut : que ne peut-on constater les périls dont ils sont les victimes, et les dangers moraux qui les menacent, plus redoutables pour le cœur et pour l’âmeque nepeuvent l’êtrepourle corps les plus terribles accidents! Puissent les amis de l’humanité, puissent les autori­tés préposées au maintien de la moralité publique, considérer attentivement les conséquences de ces vacances données aux enfants des pauvres artisans, et puisse-t-il y être obvié par quel­ques mesures prudentes et charitables ! Alors la pauvre mère qui doit quitter dès le matin sa chétive demeure nefrémira plus en y laissant seule et sans protection sa fille déjà adolescente, et ne craindra plus de voir disparaître son fils pour ne le retrouver que sur les bancs du tribunal de police correctionnelle.

[232] CHAPITRE X. DU CARACTÈRE CHARITABLE ET MATERNEL A CONSERVER AUX SALLES D’ASILE.

Les Salles d’Asile fondées à Paris furent pendant plu­sieurs années considérées comme établissements de bienfai­sance, et envisagées uniquement sous le point de vue de la charité -, mais une déclaration ministérielle les ayant assimilées aux écoles, l’auteur du Manuel développa cette idée, et l’ordonnance royale la fit passer à l’état de fait. Nous dirons sans réticence quels en furent les bons et les mauvais résul­tats. Placées sous la surveillance et la protection des pouvoirs municipaux et universitaires, les Salies d’Asile acquirent des ressources et une stabilité dont auparavant elles étaient pri­vées; et l’on eut lieu d’espérer que l’institution, marchant dé­sormais sans entraves, atteindrait promptement un degré plus élevé de perfectionnement réel. Mais il est pénible d’avouer qu’il n’en fut pas ainsi. L’élément le plus nécessaire à la prospérité des Salles d’Asile, c’est la charité. Dans les villes où l’administration s’est chargée de toutes les dépenses, cette charité s’est refroidie, parfois découragée, devant les obstacles qui s’opposaient à son libre essor; dans d’autres lo­calités, elle a dû, au contraire, créer seule et soutenir; mais là encore les formes administratives ont suscité des difficul­tés, l’œuvre est devenue plus compliquée et moins attrayante. Nous le déclarons sans hésiter, parce qu’il est urgent qu’on le sache, et qu’on oppose au mal le seul remède qui puisse le vaincre; ce remède c’est de raviver le principe et l’esprit de l’institution. Nous ne demandons pour cela l’abandon d’au­cun des droits, d’aucune des prérogatives dont l’ordonnance [233] a confié le dépôt à tel ou tel pouvoir; mais nous supplions les personnes qui les possèdent d’en faire un judicieux usage et de ne pas chercher seulement à faire acte d’autorité. Nous les supplions de considérer plus attentivement ce que sont les Salles d’Asile. Est-ce uniquement la beauté du local (dont nous sommes loin cependant de méconnaître l’utilité), le grand nombre d’enfants réunis, qui constitue leur prospérité? Ne sont-ce pas plutôt les soins minutieux donnés à ces enfants; la douceur, la patience, la vigilance dont ils sont les objets ; l’intelligence et le discernement avec lesquels on les instruit, les secours éclairés qu’on leur accorde? Or, quel autre esprit que celui de la charité inspirera l’exactitude à entrer dans tous ces détails et à les surveiller consciencieusement avec toute l’attention qu’ils exigent? Quel autre principe que celui de la charité produira l’humble et sincère désir d’assurer, par tous les moyens possibles, le bien véritable des établis­ sements? La coopération compatissante et maternelle des femmes est donc indispensable. Heureux les Asiles où elle n’a point été annulée ! heureux les Asiles où l’ordonnance a été sagement mise à exécution dans son entier! car cette or­donnance, émanée du trône, a voulu que les pauvres enfants des Asiles trouvassent dans la surveillance des dames inspec­trices la protection et la sollicitude si nécessaires à leur fai­blesse. Il serait intéressant de présenter le tableau de toutes les Salles d’Asile de France, et de comparer les différences d’organisation des unes et des autres. Dans un grand nombre, nous nous réjouissons de le dire, on verrait régner la charité, et rien que la charité. Mais dans d’autres la bonne harmonie, l’union des pensées et des efforts n’existent pas.

Peut-être dira-t-on que partout il y a des dames inspectrices et des dames déléguées, et que rien ne s’oppose à cequ’elles fas­sent aux enfants autant de bien qu’il est désirable de leur en faire. A cette objection on peut répondre que d’abord il n’y a pas partout de dames inspectrices ; que là où il y en a, elles ne sont pas toutes également actives et dévouées (ce qui tient souvent à la position isolée que leur a faite l’ordonnance) ; ou [234] bien que leur zèle est entravé, et leur bonnes intentions frappées d’impuissance. Toutes ces réflexions reposent sur des faits j si nous les livrons à la publicité, c’est afin qu’on juge si cet état de choses est favorable au bien de l’institution des Salles d’Asile. «Mais, dira-t-on encore, que voulez-vous? est-ce modifier l’ordonnance? » Non, car elle laisse une en­tière latitude à l’exercice et à l’influence de la charité. Le mal vient, là où il existe, de ce que l’on agit sans s’entendre; mais y a-t-il dans l’ordonnance un seul mot qui défende un échange de procédés bienveillants, de communications con­fiantes? Y a-t-il un seul mot qui interdise aux dames inspec­trices d’êtres consultées, non officiellement, mais officieuse­ment, sur le choix des directeurs et des directrices, sur les mesures disciplinaires à adopter dans les Asiles? Le jour où elles seront considérées comme des auxiliaires véritablement nécessaires, où l’on ne croira plus n’avoir pas besoin d’elles, on saura bien leur faire, dans la direction des Salles d’Asile, une part qui répondra à tous leurs désirs, et satisfera toute leur ambition, qui n’a d’autre objet que le bien-être des pau­vres enfants et le développement des sentiments vertueux dans ces jeunes cœurs. Nous aimons à penser que bientôt on sentira partout combien il est désirable de conserver aux Salles d’Asile le caractère charitable et maternel qui est leur plus touchant attribut -, que partout on s’appliquera sérieuse­ment à trouver les plus sûrs moyens d’y parvenir; et que partout aussi on appréciera, dans toute son étendue, l’impor­tance du concours des femmes comme dames inspectrices et dames déléguées.

[235] CHAPITRE XI. DES ATTRIBUTIONS CONFÉRÉES AUX DAMES INSPECTRICES
PAR L’ORDONNANCE ROYALE ET LE RÈGLEMENT GÉNÉRAL.

ïl ne peut être qu’avantageux pour les dames inspectrices de trouver réunis les articles de l’ordonnance royale se rap­portant aux devoirs qu’elles ont à remplir, et dans ce but nous les transcrivons ici, en y ajoutant quelques développe­ments :

«Art. 19. Les dames inspectrices seront chargées de la visite habituelle et de l’inspection journalière des Salles d’Asile. Elles pourront se faire assister par des dames délé­guées qu’elles choisissent; elles feront connaître leur choix au maire, à la diligence de qui les comités en seront informés.

« Art 21. Les dames inspectrices surveillent la direction des Asiles en tout ce qui touche à la santé des enfants, à leurs dispositions morales, à leur éducation religieuse et aux traitements employés à leur égard. Elles provoquent, auprès des commissions d’examen, le retrait des brevets d’aptitude de tout surveillant ou de toute surveillante d’Asile, dont les habitudes, les procédés et le caractère ne seraient pas conformes à l’esprit de l’institution. Les prési­dents des comités seront informés, au préalable, de la pro­position des dames.

« Les dames inspectrices pourront, en cas d’urgence, sus­pendre provisoirement les surveillants ou les surveillantes, en rendant compte sur-le-champ de la suspension et de ses motifs au maire, qui en référera, dans les vingt-quatre heures, le comité local entendu, au président du comité d’arrondis­sement, et, à Paris, au présidentdu comité central, qui maintient, abroge, limite la suspension.

[236] « Art. 22. Dans tous les cas de négligence habituelle, d’inconduite ou d’incapacité notoire et de fautes graves signalées par les dames inspectrices, le comité d’arrondis­sement, ou à Paris le comité central, mandera l’inculpé, et lui appliquera les peines de droit.

« Art. 23. Les dames inspectrices seront chargées de l’em­ploi immédiat de toutes les offrandes destinées par les co­mités, par les conseils municipaux, par l’administration centrale ou par les particuliers aux Salles d’Asile de leur ressort, sauf, à l’égard des deniers publics, l’accomplissement de toutes les formalités prescrites pour la distribution de ces deniers.

«Art. 24. Les dames inspectrices feront au moins une fois par trimestre, et plus souvent si les circonstances l’exi­gent, un rapport au comité local, qui en référera au comité d’arrondissement, et à Paris au comité central.

« Ce rapport contiendra tous les faits et toutes les obser­vations propres à faire apprécier la direction matérielle et morale de chaque Salle d’Asile et ses résultats de toute nature. Ce rapport pourra contenir toutes les réclamations qu’elles croiraient devoir élever dans l’intérêt de la disci­pline, de la religion, de la salubrité, de la bonne administra­tion de l’établissement confié à leurs soins. En cas d’urgence, elles adresseraient directement leurs réclamations aux au­ torités compétentes.

« Art. 25. Les dames inspectrices, quand elles le jugeront utile, auront la faculté d’assister à la discussion de leurs rapports dans les comités; elles y auront voix délibérative. »

Règlement général des Salles d’Asile.

a Art. 20. Les dames inspectrices ou leurs déléguées exer­ceront constamment une surveillance maternelle envers les enfants recueillis dans les Salles ; elles étudieront les disposi­tions des enfants; elles dirigeront les surveillants et sur­veillantes dans l’exécution du plan d’éducation tracé par [237] les règlements et les programmes. Les visites auront lieu à diverses heures de la journée, de manière à rendre la dame inspectrice témoin des exercices et des récréations. Elles auront notamment pour objet la santé des enfants et les se­ cours à distribuer aux enfants pauvres de l’Asile.

« Art. 22. Dans chaque Salle d’Asile est déposé un registre sur lequel la dame inspectrice constatera le nombre des en­ fants présents, leurs occupations du moment et les observa­tions qu’elle aura faites.

« Art. 23. Un tronc sera placé dans chaque Asile 5 la clef en sera confiée à la dame inspectrice. Les deniers déposés dans ce tronc, ainsi que tous autres fonds qui seraient spé­cialement donnés pour l’Asile, seront administrés au profit de l’établissement; conformément à l’article 23 de l’ordon­nance, l’argent sera employé à fournir des vêtements, soupes ou médicaments pour les enfants pauvres, infirmes ou conva­lescents qui fréquentent l’Asile. Il pourra aussi être appliqué aux menues dépenses qui seront jugées nécessaires. L’indi­cation de l’emploi de ces recettes fera partie du rapport tri­mestriel que les dames inspectrices feront au comité local de chaque commune, et, à Paris, au comité de chaque arron­dissement municipal, conformément aux articles 24 et 25 de l’ordonnance.

« Art. 11. L’admission des enfants au-dessous etau-dessus de deux à six ans ne peut avoir lieu que sur l’autorisation formelle de la dame inspectrice de l’établissement.

« Art. 15. Les enfants pourront être admis dans les Asiles les jours fériés pour des motifs graves dont la dame inspec­trice sera juge, et seront alors gardés dans les préaux par la femme de service ou une autre personne agréée par la dame inspectrice.

« Art. 18. Dans les cas d’urgence, sur lesquels il sera sta­tué par la dame inspectrice, les surveillants devront rece­voir et garder les enfants, soit avant, soit après les heures déterminées.

« Art. 39. Les enfants ne doivent jamais être frappés. [238] La dame inspectrice veille avec le plus grand soin à ce qu’il ne soit jamais infligé de punitions trop longues ou trop rudes. »

L’art. 19, rapporté plus haut, autorise les dames inspectri­ces à se faire assister, dans l’exercice de leurs fonctions, par des dames déléguées, mais ne leur prescrit pas d’une ma­nière positive de le faire. Il est regrettable que l’ordonnance ne contienne pas une injonction plus formelle sur ce point, car rien n’est plus nécessaire que l’assistance des dames dé­léguées. Quel que soit le zèle, le dévouement d’une dame in­spectrice, elle ne peut que bien difficilement remplir seule la tâche qui lui est imposée. Les visites et l’inspection jour­ nalière ne sauraient être aussi fréquentes, ni aussi régulières, lorsqu’une seule personne en est chargée, et alors il y a des lacunes préjudiciables à la bonne tenue de l’établissement. On pourrait citer cependant des dames inspectrices dont l’activité suffit à tout, et qui consacrent la plus grande partie de leur temps à la surveillance qui leur est confiée; mais si la maladie ou l’absence vient interrompre cette surveillance, comment y sera-t-il suppléé? Et si, par malheur, des devoirs de famille ou de position captivent l’attention de la dame inspectrice et absorbent ses moments, ne se contentera-t-elle pas d’être inspectrice de nom sans l’être de fait? Tout se réunit donc pour faire sentir la nécessité des dames délé­guées dont le concours peut seul prévenir l’irrégularité et l’in­suffisance des visites d’inspection, les tristes effets d’obsta­ cles très légitimes, et ceux plus triées encore de la négligence ou de l’apathie. Mais les dames inspectrices ne doivent pas se borner à choisir des déléguées; il faut qu’elles dirigent leurs efforts, et ici nous renvoyons à ce qui est exposé dans le chapitre traitant de la direction morale.

L’art. 21 fait connaître clairement combien les fonctions des dames inspectrices sont importantes, et quelle part ac­tive elles sont appelées à prendre à la direction des Salles d’Asile. N’est-il pas surprenant que, dans quelques villes, on [239] n’ait point senti la portée de ces paroles, ou qu’on n’en ait pas tenu compte?

On doit le déplorer vivement et faire des vœux pour que l’ordonnance royale reçoive, à cet égard, son plein accom­plissement. On doit aussi souhaiter que l’action des dames inspectrices ne soit pas entravée ou annulée par celle des comités. Il est d’une absolue nécessité que l’harmonie existe entre toutes les personnes qui participent à la direction d’une Salle d’Asile, car si les unes parlent dans un sens, et les autres dans un sens opposé, que feront les maîtres et les maîtresses au milieu de ce désaccord ?

L’art. 21 établit que les dames inspectrices doivent donner toute leur attention «aux traitements employés à l’égard des enfants. »

Cette injonction indique positivement que leur influence doit se faire constamment sentir dans l’Asile : car serait-il possible qu’elles dussent se contenter d’observer, sans pou­voir redresser ce qui, dans la conduite et les procédés des maîtres, leur semblerait devoir l’être sans délai?

De plus elles doivent « diriger les surveillants et surveil­lantes dans l’exécution du plan d’éducation tracé par les rè­glements et les programmes. » (1)

(1) Art. 20 du règlement général.

Mais comment pourraient-elles remplir ces devoirs si leur autorité n’était point suffisamment établie, et si l’action des comités était entièrement séparée de la leur? Cette question conduit naturellement à considérer quels peuvent et doivent être les rapports des dames inspectrices avec les comités lo­caux et d’arrondissement.

[240] CHAPITRE XII. DES RELATIONS ÉTABLIES PAR L’ORDONNANCE ROYALE ET LE RÈGLEMENT GÉNÉRAL ENTRE LES COMITÉS LOCAUX ET D’ ARRONDISSEMENT ET LES DAMES INSPECTRICES.

« Les dames inspectrices sont nommées sur la présentation du maire, président du comité local, par le préfet qui a seul le droit de les destituer. » (Titre IV, art. 20.)

« Elles peuvent se faire assister par des dames déléguées qu’elles choisissent, et font connaître leur choix au maire, à la diligence de qui les comités en sont informés. » (Art. 19.)

Dès l’abord, on voit ici se dessiner nettement la position des dames inspectrices. C’est de l’autorité municipale qu’elles reçoivent leur mandat; mais une fois qu’elles le possèdent,
elles peuvent agir d’elles-mêmes et sans autorisation, dans les limites toutefois posées par l’ordonnance et par les règle­ments. Ainsi elles choisissent les dames déléguées par les­
quelles elles peuvent se faire assister, et font connaître leur choix au maire, qui ne peut annuler leur présentation, « Les dames inspectrices feront au moins une fois par trimestre, et plus souvent si les circonstances l’exigent, un rapport au comité local……Ce rapport contiendra tous les faits et toutes les observations propres à faire apprécier la direction maté­rielle et morale de chaque Salle d’Asile et ses résultats de toute nature. Ce rapport pourra contenir toutes les réclama­tions qu’elles croiraient devoir élever dans l’intérêt de la dis­cipline, de la religion, de la salubrité, de la bonne admi­nistration de l’établissement confié à leurs soins. En cas d’urgence, elles adresseraient directement leurs réclamations aux autorités compétentes. » (Art. 24.)

« Les dames inspectrices, quand elles le jugeront utile, [241] auront la faculté d’assister à la discussion de leurs rapports dans les comités; elles y auront, en ce cas, voix délibérative. » (Art. 25.)

Ces deux articles, extraits de l’ordonnance, sont complétés par celui du règlement général qui porte que «les dames inspectrices et leurs déléguées dirigeront les surveillants et les surveillantes dans l’exécution du plan d’éducation tracé par les règlements et les programmes. » (Art. 20.)

Or, comment les dames pourraient-elles entrer dans l’es­prit de ce plan, si on ne leur en donnait pas une entière con­naissance ?

«Les comités locaux, les comités d’arrondissement, et à Paris le comité central, exercent sur les Salles d’Asile toutes les attributions de surveillance générale, de contrôle adminis­tratif et de pouvoir disciplinaire, dont ils sont revêtus par la loi sur l’instruction primaire, sauf les dérogations qui sont contenues aux art. 21 et 22 de l’ordonnance.» (Art. 18.)

L’art. 21 ici indiqué confie aux dames inspectrices la surveillance journalière des établissements ; il est donc indispen­sable qu’il y ait entre ces deux inspections unité d’action et de vues.

Mais trop souvent les dames inspectrices ne sont informées qu’indirectement des décisions prises à l’égard du régime dis­ciplinaire des Salles d’Asile. Elles n’ont de communications avec les comités qu’au moyen des rapports écrits qu’elles leur adressent, et des lettres qu’elles en reçoivent. Rien n’est plus rare que la présence d’une dame inspectrice dans un comité local. Et pourquoi ne pense-t-on pas à les y appeler? S’il est bien reconnu que les dames inspectrices doivent prendre, à la surveillance des Salles d’Asile, une part réelle, active et vraiment efficace; qu’on ne saurait se priver de leur con­cours sans renoncer à de précieux auxiliaires, et, disons-Ie, sans porter atteinte au caractère essentiellement charitable et maternel de l’institution des Salles d’Asile; alors les co­mités comprendront l’importance de relations directes et fréquentes avec les personnes auxquelles l’ordonnance a [242] confié la plus douce et la plus belle prérogative, celle de pro­téger les enfants et de les secourir. Il n’est pas possible d’é­numérer tous les cas dans lesquels les communications verbales sont incontestablement préférables aux correspon­dances; mais pour peu qu’on y réfléchisse, on saura facile­ ment le reconnaître; nous indiquerons cependant les cir­constances que prévoit l’ordonnance elle-même.

Les rapports des dames inspectrices doivent contenir « tous les faits et toutes les observations propres à faire apprécier la direction matérielle et morale de chaque Salle d’Asile. » Mais ces faits et ces observations peuvent avoir besoin de développements et de détails qui excéderaient les bornes d’un rapport.

II y a des choses qu’on affaiblit ou qu’on exagère en les écrivant, et qui ne peuvent être bien comprises qu’au moyen d’explications données de vive voix; d’autres qu’il est meil­leur de ne pas écrire. En les recevant verbalement des dames inspectrices, les comités seraient mieux instruits de ce qui concerne les Asiles, et la confiance qui s’établirait entre eux et les dames préviendrait parfois de pénibles froissements.

« Les dames inspectrices provoqueront, auprès des commis­ sions d’examen, le retrait des brevets d’aptitude de tout sur­veillant et de toute surveillante d’Asile, dont les habitudes, les procédés et le caractère ne seraient pas conformes à l’es­prit de l’institution. Les présidents des comités sont informés au préalable de la proposition des dames. » (Art. 21.)

C’est dans de telles circonstances qu’il est absolument indispensable d’agir d’un commun accord. On n’arrive point tout d’un coup à la nécessité de retirer le brevet. Si les observations qui peuvent y conduire ont été successivement com­muniquées par la dame inspectrice au comité local; si sa vigi­lance, son discernement, son esprit de justice ont pu être appréciés par lui, sans doute il ne pourra s’opposer à l’ac­complissement d’une mesure dont le devoir impose la rigueur; et non-seulement il ne s’y opposera pas, mais il donnera à la proposition de la dame inspectrice tout l’appui de son autorité. [243] En serait-il ainsi dans le cas où, agissant chacun isolé­ment, la dame inspectrice accuserait un surveillant ou une surveillante que le comité local croirait de son devoir de défendre? On ne peut se lasser de le répéter, la prospérité des Salles d’Asile ne peut naître que de l’union des efforts et de la bonne harmonie. Ce n’est pas seulement dans l’intérêt des dames inspectrices que l’on doit désirer qu’elles soient en relations plus directes et plus fréquentes avec les comités locaux, mais c’est aussi dans l’intérêt de ces comités mêmes; car les dames inspectrices qui ne comprennent pas la mission qu’elles ont à remplir, et qui outrepassent les limites de l’au­torité qui leur est confiée, donnent aux comités beaucoup d’ennuis, d’embarras et de difficultés à surmonter. Une sorte de lutte semble alors naître, et toujours au préjudice des éta­blissements. On ne peut obvier à cet inconvénient qu’en appelant les dames inspectrices et les comités à délibérer ensemble. L’ordonnance accorde aux dames « la faculté d’as­sister à la discussion de leurs rapports dans les comités, et elles y ont,dans ce cas, voix délibérative. » (Art. 25). C’est là la marche administrative et légale; et « aussi souvent que les circonstances l’exigent (art. 24), » les dames peuvent y re­courir. Si nous pouvions exprimer un désir, nous dirions qu’il y aurait beaucoup d’avantages à ce que le maire, président du comité local, assistât aussi aux réunions des dames inspec­trices et déléguées, lorsqu’il y serait invité par elles; par là il se trouverait initié aux détails intimes de la direction de l’Asile, et par conséquent mieux instruit; en même temps il serait à portée d’apprécier la manière dont les dames rem­plissent leur devoir. Les autorités auxquelles l’ordonnance a donné tout pouvoir sur les Asiles les voient trop à distance et ne peuvent entrer suffisamment dans les secrets des habi­tudes bonnes ou mauvaises qui s’y contractent. Ce sont les dames inspectrices qui peuvent les leur révéler, si elles s’ac­quittent consciencieusement de l’obligation de surveiller les établissements qui leur sont confiés; l’ordonnance le dit clai­rement; mais il y a une conséquence de cet état de choses [244] qu’elle n’a point énoncée, parce que l’équité devait naturel­ lement l’amener-, c’est que les avis des dames inspectrices seraient demandés et pris en considération dans toutes les
circonstances qui se rapporteraient à la direction des Salles d’Asile.

L’art. 21 de l’ordonnance donne aux dames inspectrices le droit « de suspendre provisoirement, en cas d’urgence, les surveillants ou surveillantes. » On a pu s’en étonner quand, d’un autre côté, les dames ne contribuent en rien à la nomi­nation des maîtres et des maîtresses ; mais c’est précisément parce qu’elles restent étrangères à ce choix qu’il a bien fallu leur conférer des attributions servant d’appui à leur influence et pouvant la faire respecter. Sans doute les cas seront rares dans lesquels une dame inspectrice devra faire usage de ce pouvoir; mais enfin ils peuvent se présenter, et alors il ne serait pas possible d’agir avec la lenteur inséparable de toute
marche administrative. D’ailleurs la fin de l’article en mitige le commencement-, les dames suspendent provisoirement les surveillants ou surveillantes, « en rendant compte sur-le-champ
de la suspension et de ses motifs au maire qui en référera, dans les vingt-quatre heures, le comité local entendu, au président du comité d’arrondissement, et, à Paris, au prési­dent du comité central, qui maintient, abroge, limite la suspen­sion. » Quelle dame inspectrice oserait abuser du droit que lui donne l’ordonnance, sachant qu’elle peut être désavouée par l’autorité supérieure? On n’a donc nul motif de le redou­ter. Depuis six ans, plusieurs retraits de brevets d’aptitude ont été provoqués par des dames inspectrices, mais pas une suspension n’a eu lieu, ce qui prouve que ce moyen de répres­sion, excellent comme avertissement sérieux donné aux di­
recteurs et aux directrices, ne sera jamais employé que dans les circonstances de la plus extrême gravité.

Al’occasionderinterventiondescomitésd’arrondissement, et, à Paris, du comité central, on doit remarquer que l’art. 24 enjoint aux comités locaux de transmettre exactement aux comités supérieurs les rapports des dames inspectrices; il est [245] d’autant plus important que cette formalité ne soit jamais négligée, que les dames ayant, aux ternies de ce même article, le droit, « en cas d’urgence, d’adresser directement leurs réclamations aux autorités compétentes, » leurs rapports pourraient prévenir ceux des comités locaux, tandis qu’ils
doivent s’appuyer mutuellement.

On peut conclure des articles cités et développés ici que les relations entre les comités et les dames sont non-seule­ ment désirables et nécessaires, mais encore prescrites par l’ordonnance. Les articles 23 de cette ordonnance et du rè­glement général indiquent aussi que les dames inspectrices, chargées d’administrer les fonds donnés spécialement pour les Asiles (argent des troncs, offrandes ou subventions), de­ vront insérer l’indication de l’emploi de ces recettes dans
leurs rapports trimestriels. Les secours à donner aux enfants indigents doivent donc rapprocher encore les dames et les comités locaux. L’admission des enfants dans les Asiles peut également en fournir l’occasion. Nous avons indiqué plus haut combien il serait bon et utile que les maires se rendissent au milieu des dames inspectrices et déléguées pour recevoir leurs rapports ou les demandes qu’elles ont à leur présenter; ce serait pour les dames plus agréable que d’assister aux
séances des comités locaux, et les opinions qu’elles peuvent avoir à exprimer acquerraient plus de force par leur una­nimité. Parfois on attribue à la sévérité personnelle de la dame inspectrice tel rapport défavorable sur le directeur ou la directrice d’un Asile; mais il en serait autrement si ce rapport était appuyé par le témoignage des dames déléguées, qu’en tous cas il serait bon qu’elles fissent connaître, en joi­gnant leurs signatures à celle de la dame inspectrice.

[246] CHAPITRE XIII. DES RÉUNIONS FORMÉES PAR LES DAMES INSPECTRICES
DE PLUSIEURS ASILES.

Lorsque plusieurs Salles d’Asile existent dans la même ville, plusieurs inspectrices sont nommées pour les surveiller, et s’adjoignent, ou doivent s’adjoindre, un certain nombre de dames déléguées. Rien n’a été statué par l’ordonnance pour assurer, entre ces différentes commissions de surveil­lance, des communications bien nécessaires cependant à la prospérité des établissements ; mais rien non plus ne s’oppose à ce que ce lien et ces communications puissent se former et se développer sur le terrain réservé aux femmes dans l’œuvre des Asiles. Là, s’encourageant mutuellement dans l’accom­plissement de leurs devoirs, les dames inspectrices peuvent former une association de charité, dans le but de secourir de mieux en mieux les enfants indigents des Salles d’Asile, et agir de concert pour provoquer et obtenir les secours et les dons de la bienfaisance publique et particulière. Ce qui est ici proposé a été mis à exécution dans plusieurs villes de France, et les résultats en sont excellents.

Dans ces réunions, la communauté de sentiments et de lu­mières donne plus d’unité aux efforts charitables des dames. Les inspectrices, lorsqu’elles ne peuvent prendre part aux séances mensuelles, s’y font représenter par les dames délé­guées, dont le zèle se trouve par là plus vivement excité. Dans ces réunions, la charité et les diverses applications au bien-être et aux besoins des petits enfants des Asiles doivent d’abord et avant tout fixer l’attention; puis, ensuite, la pre­mière partie de l’art. 21 de l’ordonnance et le 20e du règlement [247] général peuvent fournir d’abondants sujets d’entretien. Parmi les dames inspectrices, toutes ne sentent pas et ne ju­gent pas de la même manière; toutes n’ont pas, au moment où elles entrent en fonctions, une intelligence complète des dispositions de l’ordonnance et du règlement général, qui sont, on doit le reconnaître, très compliquées et difficiles par­fois à mettre en pratique ; il ne peut être alors qu’avantageux pour les nouvelles inspectrices d’être mises au fait parcelles qui ont pu acquérir déjà plus d’expérience.

Dans les réunions indiquées ici, les dames, s’entretenant des intérêts des enfants et de la direction des Asiles, se con­certent pour ne pas faire, auprès des comités locaux, des ré­clamations pouvant se contredire , et pour imprimer à la di­rection morale des Asiles dont la surveillance leur est con­fiée une uniformité de principes et d’actions qu’on ne peut trop souhaiter de maintenir dans cette institution. Tels peux eut être les avantages de la réunion des dames inspectrices. On a pu les constater dans toutes les villes où ces réunions ont été établies; et cette expérience doit faire naître le désir de les voir se propager dans tous les lieux où elles n’existent point encore.

[248] CHAPITRE XIV. DE L’ADMISSION DES ENFANTS DANS LES SALLES D’ASILE, ET DE LA RÉTRIBUTION.

De l’Admission.

L’admission des enfants dans les Asiles est un point im­portant sur lequel l’ordonnance royale et le règlement géné­ral ne se sont point suffisamment expliqués. L’article XI (du règlement) dit seulement « que les enfants de deux à six ans seront admis dans les Salles d’Asile, et qu’au-dessus et au-dessous de cet âge, l’admission ne peut avoir lieu que sur l’autorisation formelle de la dame inspectrice de l’établisesment. » Les derniers mots de cet article, en indiquant ce qui doit se faire dans les cas exceptionnels, peuvent, il semble, donner la solution de cette difficulté; car serait-il possi­ble que les dames inspectrices ne pussent que dans ces cas seuls autoriser l’admission des enfants ? Il est donc évident que l’ordonnance les met en possession du droit de prononcer en toutes circonstances. Ordinairement ce sont les directeurs et les directrices qui portent sur la liste d’inscription les en­fants que l’on présente pour être admis dans les Asiles. Cepen­dant il est indispensable que les parents puissent aussi faire inscrire leurs enfants, soit par les dames inspectrices, soit par les comités locaux. Mais ensuite l’inscription donne-t-elle réellement droit à l’admission? Cette question n’est pas tou­jours comprise, ni résolue de la même manière. Dans cer­tains Asiles, on reçoit, en effet, les enfants par ordre d’inscription; dans quelques-uns, on admet d’abord ceux envoyés par les comités locaux ; dans d’autres, ce sont les dames inspectrices [249] qui prononcent ; ou bien enfin les maîtres ou les maîtresses agissent en pleine liberté.

La marche la plus légale et la plus conforme au véritable esprit de l’ordonnance est de donner la préférence aux enfants dont les besoins sont les plus pressants ; car c’est pour eux sur­ tout que les Salles d’Asile gratuites sont instituées.

Les maires, présidents des comités locaux, peuvent connaî­tre par les bureaux de charité la position de beaucoup de familles et la faire connaître aux dames inspectrices.

Les dames, de leur côté, peuvent constater celle des pa­rents qui demandent qu’on reçoive leurs enfants, si elles prennent, ainsi que les dames déléguées, la charitable habi­tude de les visiter à domicile. Les orphelins à la charge de tuteurs et de tutrices, les enfants des veufs et des veuves, et les enfants de personnes chargées d’une nombreuse fa­mille, seront sans doute admis les premiers; mais on recueil­lera aussi celui de la pauvre ouvrière qui, partant le matin de chez elle, se voit forcée d’enfermer sous clef jusqu’au soir et d’abandonner une ou deux jeunes créatures à tous les dan­gers du feu et de mille accidents.

Si l’on insiste ici sur la nécessité de ne pas abandonner aux directeurs et aux directrices d’Asile le droit d’admettre les enfants, c’est d’abord pour que ces admissions se fassent avec justice et charité, et qu’on ne peut pas toujours attendre de la part des maîtres qu’ils puissent connaître avec exactitude la position des parents. C’est, de plus, pour ne pas exposer ces maîtres ou ces maîtresses à la tentation de préférer l’en­fant de parents dans l’aisance à l’enfant indigent. Nous ap­puyons sur ce point, parce qu’il y a malheureusement des exemples de cette préférence, provoquée par des présents ou par des indemnités, et qu’on ne peut trop fortement répri­mer cet abus. Que les émoluments accordés aux directeurs et directrices soient élevés en proportion de leurs peines, mais qu’il leur soit défendu de rien recevoir des familles. L’auteur du Manuel l’a établi en principe, et l’on ne saurait s’en écarter sans qu’il en résultât les plus graves inconvénients.

[250] 2. De la Rétribution.

Si les Salles d’Asile gratuites sont fondées pour les enfants de familles dans l’indigence ou dans la pau\reté, doit-on y recevoir aussi ceux de parents pouvant facilement payer une rétribution mensuelle? Nous n’hésitons pas à dire qu’il y a abus et injustice : abus, parce que les deniers de l’Etat sont alors détournés de leur véritable destination ; injustice, parce qu’on ne peut admettre qu’au préjudice des enfants indigents les enfants nés dans une situation plus heureuse. Si l’on fai­sait scrupuleusement la recherche des enfants de cette classe qui se trouvent dans la plupart des Asiles, on reconnaîtrait combien le nombre en est élevé. Exiger d’eux une rétribution
serait équitable et conforme à l’esprit de charité; car alors une plus grande multitude d’enfants pauvres pourraient être admis dans de nouveaux Asiles. Mais ici se présente une ques­tion. Devrait-on, dans les villes où plusieurs Asiles existe­raient, les séparer en Asiles gratuits et Asiles non gratuits? ou bien fonder dans tous un certain nombre de places payantes et non payantes? Ce dernier système serait, sans nul doute, préférable, parce que les familles demeurant dans la
circonscription d’un Asile aimeraient mieux en profiter que d’envoyer leurs enfants à de plus grandes distances; et parce que ce rapprochement des enfants du pauvre et de ceux de l’honnête ouvrier, de l’artisan laborieux et aisé, aurait sur leurs jeunes cœurs des effets salutaires et les disposerait à se soutenir et à s’entr’aider dans la vie. Ce sujet est digne de fixer l’attention des conseils municipaux et de toutes les autorités concourant à la fondation des Salles d’Asile, et
nous leur soumettons le fait suivant à l’appui des réflexions qui précèdent. Un Asile gratuit, contenant cent cinquante en­fants, allait être fermé faute de fonds pour le soutenir ; qua­tre-vingts à quatre-vingt-dix parents s’engagèrent à payer une rétribution mensuelle de 1 fr. ou 2 fr. si l’Asile restait ouvert. Les circonstances ne permirent pas d’exaucer leurs [251] vœux, mais l’on put constater de combien les frais se seraient trouvés diminués. La tenue des Salles d’Asile destinées aux enfants des indigents et à ceux des familles ouvrières au-dessus du besoin peut être semblable, car tous doivent être élevés selon les mêmes principes et dans le même but, c’est-à-dire dans la simplicité et pour une vie de travail et d’éco­nomie.

Après les enfants de cette classe viennent ceux des classes plus opulentes; et pour eux on n’a point encore songé en France à ouvrir des Salles d’Asile (si ce n’est à Montpellier, où il en existe une organisée par les soins d’une dame pleine de zèle). (1)

(1) Madame Marès.

Cependant combien ne serait-il pas nécessaire et pressant de s’occuper aussi de leur première éducation, si souvent négligée, ou dirigée d’une manière funeste pour leur avenir ! Quel immense service ne rendrait-on pas aux mères qui ne peuvent pas surveiller constamment elles-mêmes leurs en­fants, en leur offrant la possibilité de leur faire passer un cer­tain nombre d’heures dans un lieu, où tout serait disposé pour le développement de leur intelligence, de leur âme et de leur corps, et où les premières études,toujours si difficiles et sou­vent si pénibles, ne s’offriraient à eux que sous la forme d’amusements? Quand on voit, dans les Salles d’Asile ou­ vertes pour les enfants du peuple, combien le caractère de ces petits y subit de frappantes modifications, combien les dispositions vicieuses, les tendances mauvaises de leur na­ture y sont doucement réprimées et fréquemment corrigées, on doit regretter de voir ces avantages refusés aux enfants qui, devenus hommes, réagiront d’une manière si puissante par leurs vices ou par leurs vertus sur l’état moral de la so­ciété. L’enfant élevé dans l’égoïsme, la préoccupation de soi-même (qui se manifeste dès le berceau), recevra sans doute des leçons d’humilité et d’abnégation, mais trop tard; et le levain caché au fond de son cœur ne saurait plus en [252] être extirpé. C’est donc dès l’âge le plus tendre qu’il faut aussi agir sur sa jeune âme, et le régime des Asiles serait incontestablement pour lui le plus salutaire, surtout depuis la quatrième jusqu’à la sixième année. Espérons qu’un jour on le comprendra, et que l’on s’efforcera d’imiter aussi en France ce qui s’accomplit à cet égard en d’autres pays.

Le système d’éducation des Salles d’Asile n’a été nulle part plus perfectionné qu’à Dise; aussi s’y présente-t-il complet. Les mêmes avantages y sont offerts à l’enfant du riche et à celui du pauvre. Le but de l’instruction qu’ils reçoivent est de rendre l’un et l’autre doux et humble de cœur; de ne pas se borner à le développer, mais de chercher à l’éclairer, c’est-à-dire à l’environner de la pure lumière qui seule peut pénétrer au fond de l’âme et y répandre ses divines clartés. Dans quelque situation qu’il soit placé, l’enfant aura toujours à fuir le mal et à pratiquer le bien. On ne peut attendre de lui d’agir avec réflexion; souvent il n’en aurait ni le temps ni la force ; il faut donc que ce soit par impulsion instinctive, et que l’amour du bien, la pureté, la paix intérieure soient l’état normal de cette jeune âme. Qu’on ne croie pas qu’ici soit dépréciée l’éducation maternelle de la famille; là où elle peut être donnée sans alliage, avec discernement, fermeté, et selon des principes vraiment chrétiens, on obtiendra les ré­sultats que nous venons d’indiquer; mais les mères les plus dévouées et les plus éclairées peuvent-elles toujours accomplir leur tâche, sans que les circonstances au milieu desquelles elles sont placées viennent parfois entraver ou paralyser leurs efforts? et toutes les mères sentent-elles le poids immense de la responsabilité qui pèse sur elles? Leur offrir aide et secours en suppléant à ce qu’elles-mêmes reconnaîtraient ne pouvoir faire, et en substituant l’Asile bien dirigé aux soins, trop sou­vent si peu judicieux, des bonnes auxquelles on abandonne les enfants, serait-il porter atteinte aux douces prérogatives de la maternité?

[253] CHAPITRE XV. DE LA NÉCESSITÉ D’ÉTABLIR DES RÈGLEMENTS PARTICULIERS POUR CHAQUE SALLE D’ASILE.

Toutes les dispositions concernant la direction et la tenue des Salles d’Asile sont renfermées dans l’ordonnance et dans le règlement général. Mais il est indispensable que, dans cha­que établissement, cesdispositionssoientplacées en évidence, de manière à faire connaître à chacun son devoir. Il est bon d’en extraire divers règlements à l’usage des dames inspec­trices et déléguées, des directeurs et directrices, et des pa­rents des enfants. La plupart des abus seraient réprimés par le seul fait de cette publicité donnée au texte de l’ordonnance et des règlements ministériels, ou du moins il serait plus facile de les combattre. En voici la preuve : l’article 10 du règlement général établit que « les surveillants ou surveil­lantes des Salles d’Asile communales, leurs aides ou autres employés, ne recevront des familles aucun paiement ni rétri­bution , aucun cadeau ni offrande. » Si cette injonction était mise sous les yeux des parents, oserait-on l’enfreindre?

L’art. 39 porte « que les enfants ne doivent jamais être frappés. » Cette défense formelle, en inspirant aux parents une entière confiance, ne leur donnerait-elle pas le droit et le courage de se plaindre si, par malheur, elle pouvait être oubliée, et ne réagirait-elle pas sur leur propre conduite envers leurs enfants, en leur imposant le devoir de les traiter aussi avec douceur?

L’art. 40 enjoint « aux surveillants et aux surveillantes d’être toujours présents aux exercices et aux récréations. » Cet article, un des plus importants de tous, obligerait les dames inspectrices à noter, sur le registre d’inspection, les [254] infractions qu’elles sont parfois dans le cas de constater, et que trop souvent elles tolèrent avec une bonté qu’on devrait taxer de faiblesse.

Suivant l’art. 21 , « le médecin attaché à chaque Asile devra le visiter au moins une lois par semaine. » Mais si plu­sieurs se distinguent par un zèle et un dévouement qu’on ne peut assez reconnaître, d’autres, qui ont sollicité les fonctions ci-dessus indiquées, les négligent complètement, ou ne veu­ lent voir que dans leur propre cabinet les enfants que les di­recteurs ou directrices leur envoient : ce qui n’est nullement dans l’esprit du règlement, qui a voulu joindre l’inspection d’un médecin aux autres inspections.

Nous devons abréger ces citations, que nous ne donnons que comme des exemples. En méditant sur chaque article de l’ordonnance et du règlement général, on pourra facilement reconnaître quels sont ceux qu’il est nécessaire, pour la bonne direction et la bonne tenue d’un Asile, de rappeler et de faire respecter.

D’autres dispositions de détail qui ne sont pas dans l’or­donnance ni dans le règlement général peuvent être, suivant les circonstances et les besoins, arrêtées par les dames in­spectrices et sanctionnées par les comités locaux et d’arron­dissement : c’est le seul moyen d’établir l’ordre, la régularité dans la tenue des établissements. Il serait très désirable qu’on affichât, dans chaque Saile d’Asile, au changement des sai­sons, les heures d ’arrivée et de départ des enfants, de manière à ce que les parents les sussent toujours avec exactitude.

Il serait nécessaire aussi d’y placer en évidence la liste, faite par les dames inspectrices, des enfants qui peuvent, sans danger, s’en aller seuls chez leur parents, afin de prévenir toute méprise, et de ne pas exposer ces enfants à se trouver expulsés de l’Asile lorsque personne ne peut encore les rece­voir au domicile paternel. De graves abus ont eu lieu parfois à cet égard, et c’est une des infractions de l’ordonnance, contre laquelle on ne peut trop fortement s’élever. Placer aussi, près de la porte de l’Asile, dans le préau, un tableau [255] contenant les noms et les adresses des dames inspectrices et déléguées, peut avoir les meilleurs résultats et donner lieu à
la formation de rapports beaucoup plus fréquents entre elles et les parents des enfants.

Nous ajouterons ici une observation concernant les femmes de service et leur position dans les Salles d’Asile. Ni l’ordon­nance ni le règlement général ne déterminent exactement cette position ; il en résulte que, dans quelques établissements, les comités locaux ou les dames inspectrices nomment ces hum­bles assistantes, si utiles et qu’il est si nécessaire de bien choi­sir; mais, dans quelques autres, elles ne dépendent que des directeurs ou des directrices, qui les prennent et les renvoient comme bon leur semble. Cela ne doit pas être, sous aucun rapport. La femme de service appartient à l’Asile, et non aux directeurs. Elle ne peut pas s’occuper des soins de leur mé­nage au préjudice de ceux qu’elle doit aux enfants. Elle a droit à la totalité des appointements qui lui sont accordés. S’il convient qu’elle soit nourrie par les directeurs ou direc­trices, et que le prix de sa nourriture soit diminué sur ses appointements, aucun arrangement de ce genre ne peut avoir lieu qu’avec l’approbation de la dame inspectrice, qui doit également (de concert avec les dames déléguées) confier les fonctions du service aux personnes que peut lui proposer je
directeur ou la directrice, ou les leur retirer. Les dames sont aussi appelées à régler toutes les parties de ce service et à en surveiller l’exécution.

[256] CHAPITRE XVI. DE LA DISTRUUTTION DES SECOURS DANS T.ES S’ALLES D’ASILE.

L’application des secours de la charité dans les Salles d’Asile ne doit pas être faite sans discernement, et seule­ment par une impulsion de générosité ou de compassion. Il y a des écueils à éviter; l’insouciance des parents, leur pa­resse peut-être, ne doit pas être encouragée par des dons qui les dispenseraient de subvenir aux besoins de leurs enfants. Des distributions générales faites avec apparat éveillent l’envie de ceux qui n’y participent pas, et habituent ceux qui en profitent à se voir classés publiquement au rang des indigents. Il faut plus de prudence et plus de ménagements et d’égards. Encore ici se retrouve la nécessité du concours des dames inspectrices et déléguées. Elles seules peuvent con­stater le degré de misère des parents et les causes qui l’ont amenée; elles seules peuvent appliquer l’aumône avec intel­ligence et la faire concourir au bien moral des familles. Mais, pour atteindre ce but, il est indispensable que des rapports fréquents, réguliers, suivis, s’établissent entre les dames et les mères des enfants; et l’on n’y parviendra qu’en plaçant sous le patronage spécial de chaque dame un certain nom­
bre de familles auxquelles appartiennent les enfants admis dans l’Asile qu’elle surveille. Partout où l’on a eu recours à ce moyen, l’on a obtenu les meilleurs résultats; les distribu­tions de vêtements peuvent alors se faire au domicile des pa­rents, ou bien ceux-ci peuvent, en se rendant chez les dames, y recevoir en même temps d’utiles conseils, des encourage­ ments, ou des réprimandes que parfois ils n’ont que trop méritées. II est désirable que les directeurs et les directrices [257] concourent à ces distributions, en recommandant aux dames les enfants qui leur semblent devoir être secourus.

Dans quelques villes, on a établi des associations de travail en faveur des enfants pauvres des Salles d’Asile.

Nous citerons ici en particulier la ville d’Arras. Une so­ciété de jeunes personnes s’y est formée en 1834, pour con­fectionner des habillements destinés aux enfants pauvres qui fréquentent les Asiles, et cette société vient en aide aux dames inspectrices et déléguées.

C’est une heureuse idée que celle d’inspirer ainsi aux jeu­nes filles nées au sein de l’opulence une tendre compassion pour les petits enfants du pauvre. En travaillant pour eux, elles sont naturellement amenées à désirer de les connaître ; cet intérêt charitable, une fois éveillé dans leurs cœurs, ne s’y éteindra plus-, et lorsque ces jeunes filles seront devenues à leur tour des mères de famille, de doux souvenirs les attire­ront vers l’œuvre des Salles d’Asile.

Dans d’autres villes, on a établi avec grand succès le tra­vail manuel dans les Asiles; on fait parfîler aux enfants de petits morceaux d’étofi’es de laine et de coton, puis on fait filer et tisser (par des ouvriers, ou dans des hospices et des prisons) le produit de ce travail, et il en résulte une étoffe commune, mais solide, avec laquelle les enfants peuvent être vêtus. Le tricot offre aussi des ressources pour occuper et assister les enfants; à Strasbourg, une grande quantité de
bas sont tricotés dans les Salles d’Asile, et distribués en­ suite aux plus pauvres d’entre les élèves.

Les vêtements ne constituent pas les seuls secours à distri­buer dans les Asiles. Il faut souvent y nourrir de pauvres enfants auxquels les parents ne peuvent donner suffisamment de pain. Jusqu’à présent, on n’a pas admis généralement l’u­sage de donner de la soupe, et c’est pourtant ce qu’il y au­rait de meilleur et de plus salubre.

Quand on visite assidûment un Asile, qu’on examine le contenu des paniers des enfants, ou qu’on assiste à leurs re­pas, on est douloureusement happé de la mauvaise nature [258] des aliments dont ils se nourrissent; car il est impossible que leur santé n’en ressente pas les effets. Grand nombre de ces enfants sont d’une constitution lymphatique ou scrofuleuse ; un régime sain et régulier pourrait seul combattre ces dispo­sitions. C’est une question bien importante que celle de re­médier aux misères morales et physiques du peuple. Et si l’on ne travaille pas à atteindre ce double but, l’institution des Salles d’Asile ne fera qu’un bien incomplet. Nous appelons donc de tous nos vœux le moment où les enfants seront tous nourris dans les Salles d’Asile, les moins pauvres apportant chaque matin leur pain de la journée, et cinq centimes pour payer le bouillon qui devra transformer ce pain en une soupe ; les plus pauvres recevant gratuitement la portion qui doit les nourrir. Rien n’est charmant comme l’aspect de ces pauvres petits, assis en bon ordre, autour de longues tables couvertes de toi le cirée, prenant gaiement et proprement une nourriture saine et appétissante. Dans l’Asile même le plus nombreux, il suffirait de deux tables contenant chacune vingt-cinq en­ fants ; ces tables très basses se placent sur de petits tréteaux, et les enfants s’asseoient sur des bancs portatifs. Un quart d’heure pouvant suffire pour leur repas, en une heure et de­ mie on ferait manger trois cents enfants, les divisions de 50 se succédant, en commençant par les plus jeunes etfinissant par les plus âgés. Le matin et à quatre heures, il ne serait mangé que du pain sec. Cela se pratique ainsi à Pise, et l’expérience de plusieurs années a prou\é que rien n’est plus avantageux que ce régime pour la santé des enfants. Sans faire le bouillon dans les Asiles, on peut se le procurer par voie d’abonnement, soit avec les maisons de secours, soit avec les hospices, soit d’une autre manière qu’offriraient les localités. (1)

(1) Il n’est pas nécessaire que ces soupes soient toujours faites avec du bouillon de viande; les potagesuiaigresconviennenltrèsbien aux enfants; une légère purée de pommes de terre et de haricots leur donne une sa­veur agréable et les rend plus nourrissants. — En faisant apporter dans les Asiles le bouillon (maigre ou gras) tout préparé, il suffirait que la femme de service le fît chauffer sur un fourneau préparé à cet effet, en y ajou­tant le pain apporté par les enfants ou donné par les dames inspectrices.

[259] Après avoir parlé des habillements et de la nourriture, il reste à dire quelques mots des secours à donner aux enfants malades ou délicats. C’est une question très contestée que celle de soigner la santé des enfants dans les Salles d’Asile. On craint de donner trop de peine aux directeurs et aux di­rectrices; on craint de contrarier la volonté des parents; on craint de transformer les Asiles en infirmeries. A ces craintes, on peut répondre qu’il ne peut s’agir que de remèdes faciles à administrer, et composant plutôt un régime qu’un traite­ ment; qu’on ne les emploierait jamais sans le consentement des parents, auxquels la prescription du médecin serait com­muniquée ; et que les enfants malades, se trouvant naturelle­ ment exclus pour un temps de l’Asile, n’y seraient pas traités. Voici ce que dit, à ce sujet, le docteur Cerise, dans un ou­ vrage qu’il serait désirable de voir placé dans chaque Salle d’Asile.

« Quant aux affections que le médecin peut et doit traiter dans les Salles d’Asile, elles exigent qu’un certain nombre de médicaments soient mis à sa disposition, afin que ses pres­criptions soient efficacement et facilement exécutées. Il im­porte de concilier l’économie avec l’utilité des ordonnances ; car le médecin ne doit jamais oublier que les Salles d’Asile ne sont pas des hospices, et qu’il ne doit y employer des médi­caments que pour combattre les affections qui permettent aux enfants d’y venir et d’y prendre part aux exercices. (1)

(1) Le médecin dessales d’Asile, chez Hachette, chap. XI, p. 132.

On comprendra sans peine que ce n’est que dans les Asiles que peuvent être traitées ces affections, puisque les enfants y passent la plus grande partie de la journée; que, d’ailleurs, les parents ont si peu de loisir, et parfois si peu d’intelli­gence, que, soit faute de temps, soit par incurie ou négligence, ils ne sauraient exécuter les prescriptions, dont un état vio­lent de maladie ne leur fait pas sentir la nécessité. L’éducation [260] physique des enfants, non moins que leur éducation morale, exige donc des soins suivis. Et le devoir des daines inspec­trices est d’y veiller avec la plus constante attention.

Il est inutile d’insister ici sur l’obligation de tenir les en­ fants dans un état de propreté le plus complet possible.

On doit en imposer le devoir aux parents ; mais, lorsqu’ils ne le remplissent pas, il vaut encore mieux accepter la tâche de les remplacer que de laisser de pauvres petits êtres souf­frir de cette négligence, et les femmes de service doivent prendre, à cet égard, toutes les peines nécessaires.

Rien ne serait meilleur que de pouvoir baigner les enfants pendant l’été, on préviendrait souvent des indispositions qui s’aggravent par l’absence de soins de cette nature; la femme de peine pourrait remplir cette tâche pendant les heures de classe. Nous ne nous dissimulons pas qu’il y aurait des difficultés à surmonter pour établir ce genre de service; mais il serait de la plus grande utilité, sinon pour tous les enfants, du moins pour ceux que les médecins désigneraient, et aussi pour ceux qui ne trouvent au sein de leurs familles que la plus repoussante malpropreté. Si les dames inspec­trices portent leur attention sur ce point, elles sauront recon­naître ce qu’il peut être désirable et possible de tenter, et découvriront les moyens d’exécution mieux que nous ne pourrions les leur indiquer.

[261] CHAPITRE XVII. DE LA DIRECTION MORALE DES SALLES D’ASILE (1)

(1) Ces réflexions ont été publiées déjà ; niais on a cru pouvoir les re­produire avec quelques changements, parce qu’elles se rattachent aux devoirs des dames inspectrices. On reconnaîtra facilement, dans quelques parties de cet écrit, qu’il a été rédigé par une personne exerçant ces fonctions.

Les réflexions suivantes sont offertes aux personnes qui, portant intérêt à l’institution des Salles d’Asile, désirent prendre une part active à son extension et concourir à son perfectionnement. Elles s’adressent aux femmes, parce que l’œuvre des Asiles est une œuvre toute maternelle. Beaucoup d’entre elles seront sans doute émues de joie en voyant s’ou­vrir une nouvelle carrière d’activité charitable, mais elles doivent mesurer l’étendue de cette carrière et les difficultés qui peuvent les y attendre.

La charité, entraînée par un premier élan, ne sait pas tou­jours les envisager et les apprécier à leur juste valeur. Plus tard les mécomptes, les obstacles se présentent; le cœur est froissé, le zèle se ralentit, la langueur morale paralyse tout effort, et bientôt on néglige une tâche qui paraît au-dessus des forces et qui n’offre aucune chance de succès.

La persévérance seule peut amener en toutes choses des résultats satisfaisants pour le cœur. Essayons de dire ce qui peut la fortifier en nous et nous soutenir dans l’exercice de la charité.

En toute entreprise, il faut d’abord se demander quel but on se propose, s’assurer que ce but est utile, examiner ensuite [262] les moyens de l’atteindre. A la vue des difficultés inévitables,
nous sentirons d’un côté le besoin de persévérance et de cou­rage, et de l’autre notre faiblesse et notre légèreté naturel­les, et nous serons amenés à chercher en Dieu la force qui nous est nécessaire pour accomplir sa volonté. Le sentiment du devoir ne peut, s’il est réel, se manifester en une circon­stance, puis s’affaiblir en une autre et nous laisser retomber dans l’indifférence et l’apathie. La conscience alors ne saurait nous donner la paix du cœur et de l’esprit. Voilà donc les puissants mobiles qui.peuvent nous porter à surmonter cou­rageusement les obstacles toujours renaissants au dehors et au dedans de nous mêmes.

L’inconstance de notre nature a besoin d’être soutenue même dans l’accomplissement du bien et des devoirs les plus doux. De plus, il ne peut y avoir accord de vues, simultanéité d’efforts dans le bien fait isolément, tandis qu’en se réunis­ sant le zèle réchauffe le zèle, la charité enflamme la charité ; les succès des uns compensent les mécomptes des autres, et l’on fait pies et mieux en agissant de concert. Il y a un charme inexprimable attaché à ce concours de pensées et d’in­
tentions. Il y a de grandes douceurs dans les relations qui s’établissent entre les cœurs animés d’un même sentiment. Essaierons-nous de les décrire? Ceux qui les connaissent par expérience trouveraient nos paroles faibles et décolo­rées en comparaison de la réalité; ceux qui les ignorent ne nous comprendraient peut-être pas. Nous devons donc nous contenter d’indiquer cette source inépuisable de pures jouissances.

Le choix des dames déléguées appelées à partager les de­ voirs des dames inspectrices exige une attention sérieuse; il est indispensable de le faire avec impartialité et justesse. Que l’esprit de charité, de cette charité qui aime et a besoin de se devouer, soit le lien qui les unisse; qu’un doux senti­ment de bienveillance les anime, et que toutes soient prêtes à porter le fardeau les unes des autres, à s’cntr’aider, s’en­ courager, s’éclairer mutuellement.

[263] Ce n’est pas légèrement et sans avoir mûrement réfléchi qu’il faut s’engager à faire partie d’une semblable réunion; il faut consulter sa conscience aussi bien que son cœur. Il est tel établissement auquel on peut être plus utile en ne s’occu­pant pas de sa direction qu’en s’en occupant négligemment. On a répété bien des fois que le sort d’une Salle d’Asile dé­pend uniquement des dispositions et des qualités des maîtres qui la dirigent; mais qui surveillera journellement ces maî­tres dans l’accomplissement de leurs devoirs? qui leur don­nera les conseils, les encouragements dont ils peuvent avoir besoin, ou leur adressera les observations qu’ils peuvent mé­riter? II. est donc facile de reconnaître combien le choix des dames déléguées a d’importance; nous ne saurions trop insister sur ce point.

Des réunions des dames.

L’on ne peut douter que, même en commençant par envi­sager les difficultés attachées à la surveillance régulière et consciencieuse d’une Salle d’Asile, il ne se trouve des per­sonnes portées à se consacrer à cette œuvre de compassion chrétienne et d’intérêt maternel. Lorsqu’elles se seront réu­nies et auront pris la résolution d’y travailler de tout leur pouvoir, nous leur conseillons de fixer d’abord des jours où elles puissent se retrouver, se communiquer leurs impres­sions, leurs pensées, et se partager les diverses fonctions à remplir auprès de leurs enfants adoptifs.

Ce n’est pas seulement un bien temporel et passager qu’il s’agit d’accomplir, mais un bien moral et éternel, en dirigeant les premières pensées de ces jeunes âmes vers les choses pures et saintes, et en s’efforçant de les conduire à celui qui a dit : « Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas. » Si les dames inspectrices et déléguées envisagent ainsi les devoirs qui leur sont imposés, elles éprouveront le besoin de s’entretenir fréquemment des dispositions et des progrès de leur grande famille ; et bien loin que les jours de réunion [264] semblent trop rapprochés, ils seront des jours aussi doux pour les dames qu’utiles pour le bien de l’Asile.

Chaque dame qui, à son tour, visite l’établissement, doit inscrire les observations et les réllexions que lui suggère ce qu’elle voit ou entend. La personne qui lui succède dans cette
inspection prend connaissance decesobservationsety ajoute les siennes. Ce livre-journal, tenu avec régularité, peut offrir des éléments d’entretiens pleins d’intérêt pour les jours de réunion des dames, et motiver des décisions souvent impor­tantes. Dans quelques Asiles, les maîtres rédigent également un journal, dans lequel ils rendent compte des leçons données aux enfants, de la manière dont elles sont reçues, et des pro­grès moraux et intellectuels qu’ils ont pu remarquer en leurs jeunes élèves. Il serait désirable que chaque maître ou chaque maîtressed’Asile fût capable d’entreprendre un tel travail; mais il est difficile qu’il en soit toujours ainsi. On peut trou­ver des maîtres excellents sous tous les autres rapports, et auxquels cette facilité de rédaction manquerait complète­ment; on peut donc la souhaiter, mais non pas l’exiger. Il n’en est pas de même du registre d’observations tenu par les dames; il peut et doit être scrupuleusement continué dans chaque établissement. Il ne s’y trouvera pas de lacune si les dames déléguées s’entendent pour que chaque jour l’Asile soit visité et surveillé, et rien ne sera plus facile en réunissantsix personnes disposées à faire chacune une visite par semaine, ou douze, si elles préfèrent n’être en fonctions que tous les quinze jours, et en adoptant l’usage des suppléantes pour les personnes forcées de s’absenter ou de suspendre leurs visites. De cette manière, chaque établissement serait véritablement un centre d’intérêt, d’efforts et de préoccupation charitable.

De l’inspection exercéepar les clames.

Le registre d’observations reste entre les mains du maître ou de la maîtresse, qui peut en prendre connaissance et pro­fiter parfois des réflexions qui s’y trouveront consignées. [265] Mais lorsque les dames voudront que leurs observations ne soient point soumises à cette investigation, il leur sera facile de prendre des notes qu’elles pourront se communiquer dans les séances où elles se réunissent.

La surveillance des dames devra porter sur la bonne tenue de l’établissement, sur la propreté qu’il est essentiel d’y maintenir, surtout sur les rapports du maître avec les élèves et sur la nature des leçons qu’il leur donne; sur l’état sani­taire des enfants; sur leurs habitudes extérieures, leurs dis­positions morales et le développement de leurs facultés intel­lectuelles; sur la manière dont ils écoutent les leçons et sur leurs amusements pendant les heures de récréation. Il peut être bon, en conséquence, de visiter l’Asile à des heures du jour différentes et qui ne puissent être prévues. Les dames inspectrices et déléguées ont encore à remplir des devoirs importants, qui se rattachent en quelque sorte aux fonctions de dames de charité; ce sont les rapports à entretenir avec les parents des enfants. Il serait à désirer que tous fussent connus et visités, sinon fréquemment, du moins dans les oc­casions qui peuvent rendre ces relations utiles. Nous croyons devoir répéter ici ce que nous avons dit plus haut, craignant que peut-être cette énonciation des devoirs imposés aux dames puisse les faire paraître trop étendus et pénibles à remplir. C’est que tout ce qu’on fait avec suite et persévé­rance acquiert un degré toujours plus vif d’intérêt, et qu’en recommandant l’exactitude dans l’accomplissement des de­voirs que nous venons d’indiquer, nous savons que, perdant toute aridité, ils offriront chaque jour plus de charme.

Inspection generale de l’établissement.

L’aspect d’une Salle d’Asile varie à chaque heure du jour, et présente des caractères différents à l’œil de l’observateur. Nous ne pouvons les définir qu’en présentant le tableau de ce qu’ils doivent être. Au moment où l’Asile est ouvert le ma­tin, les salles ont été nettoyées soigneusement par la femme de [266] service, aérées, lavées durant les grandes chaleurs et suffisamment échauffées pendant l’hiver; l’eau des fontaines a été renouvelée, tout enfin doit être dans le meilleur ordre possi­ble. La surveillance des dames doit s’exercer sur tous ces dé­tails; elles n’oublieront point de donner à tout un coup d’œil rapide ; elles vérifieront si les paniers qu’apportent les enfants sont bien rangés, et la moindre négligence sera signalée par elles. Le maître ou la maîtresse est à son poste, libre de tout autre soin, prêt à recevoir les enfants, à examiner leur état de santé, de propreté; à parler aux parents qui les amènent, et à leur faire les observations ou les recommandations aux­ quelles les circonstances peuvent donner lieu. Les enfants ar­rivent; il est à désirer que les plus grands s’établissent sur ies bancs et soient occupés à un travail manuel. (1) Durant ce temps, ils apprennent par cœur et récitent de courts frag­ments de l’Évangile et quelques versets de cantiques, ou bien ils chantent. Il est important de ne pas laisser commencer la journée par des jeux bruyants, par des querelles, et par un mouvement qui produit l’agitation pour tout le reste du jour. L’heure de l’étude a sonné; peut-être tous les enfants ne sont-ils pas encore réunis; il est indispensable de faire à ce sujet des représentations aux parents, et il faut insister sur l’observation de la règle, à moins que les motifs allégués ne soient vraiment valables; de temps à autre, la visite à cette heure d’une dame serait très utile. Pendant le temps consacré aux leçons, les enfants seront maintenus en bon ordre; ce­ pendant on ne peut commander à leur attention , et il faut seulement tâcher de réussir à la captiver. Il serait inhumain, et peut-être imprudent, d’exiger d’eux une immobilité com­plète ; mais que toujours les querelles soient réprimées, que tout acte, tout mouvement violent ou indécent soit surveillé et immédiatement arrêté. On ne saurait trop s’empresser alors de défendre l’enfant contre lui-même ; que le maître le prenne doucement par la main, et, lui faisant quitter sa place sans [267] rien dire, qu’il le fasse asseoir tout près de lui, afin qu’il ne puisse se soustraire à son regard ; puis, qu’il s’efforce d’attirer et de fixer son attention sur la leçon donnée à ce moment. Si la faute est grave, la réprimande méritée ne doit être faite que lorsque l’heure d’étude sera terminée.

(1) A Strasbourg, à Pise, il en est ainsi.

Midi sonne, le travail est fini; l’instant du repas est im­portant à surveiller (1), car il faut profiter de chaque circon­stance qui permet d’observer les dispositions et le caractère des enfants. Encore à ce moment, que nulle contrainte trop pénible ne leur soit imposée, mais que les mauvais mouve­ ments ne puissent passer inaperçus et que toujours ils soient, pour l’enfant qui les éprouve, l’occasion de recevoir instruc­tion ou réprimande maternelle et sage.

(1) Dans la plupart des Salles d’Asile, le repas se fait dans le préau ou le jardin. Cet usage a l’avantage de maintenir plus de propreté dans la salle, de laisser les enfants plus longtemps en plein air, et surtout défaire considérer fa salle comme un endroit où l’on ne joue pas et se tient plus tranquille.

On devra observer aussi de quelle manière les maîtres et la femme de service s’acquittent de cette partie de leur tâche.

Le repas est achevé; les mains, les figures doivent être la­ vées; les enfants se rendront avec ordre, en marchant et chantant, soit dans le jardin, soit dans le préau couvert, sui­vant le temps et la saison. Là toute liberté d’action leur est rendue. Qu’ils jouent, sautent, courent et s’amusent ; que leur gaieté puisse éclater par des rires ou des cris de joie ; ne réprimez pas l’expression de ce sentiment et de ce besoin de bonheur qui a été implanté dans le cœur par une main divine, et qui ne sera que trop tôt flétri, comprimé par le dévelop­pement des passions, les impressions de souffrance et les circonstances extérieures. Laissez l’enfant s’enivrer de cette félicité si douce et si pure d’être et de sentir le prix de la vie; mais alors observez-le soigneusement, et cherchez à décou­vrir les dispositions de son âme. Le maître ou la maîtresse ne doit, sous aucun prétexte, quitter ses élèves durant les [268] heures de récréation et de jeu (1). Il devrait, au contraire, s’en occuper plus spécialement encore que pendant le temps des leçons, et sa surveillance doit être plus active ; car les enfants, tous en mouvement, sont moins faciles à contenir. Que par­ fois il joue avec eux, ou bien qu’il s’occupe de ceux qui ont mérité des réprimandes et encouru des punitions.

(1) Il est nécessaire sans doute que les maîtres et maîtresses d’Asile prennent alternativement quelques moments de repos; mais il vaut mieux que ce soit pendant le temps des exercices du gradin, et tandis que les enfants sont occupés.

Lorsque les enfants quittent l’Asile vers le soir, il faut que ce soit sans tumulte, et les parents seront instruits à se con­former aux règlements adoptés.

Les dames inspectrices reconnaîtront facilement sur quels points doivent porter leur inspection et leurs observations, si elles sont toujours pénétrées de l’idée que ces pauvres en­fants sont leurs enfants adoptifs, et si elles les considèrent avec une sollicitude maternelle. Leur cœur alors leur suggé­rera tout ce que nous ne saurions dire, et leur donnera des conseils mille fois supérieurs et préférables aux nôtres.

Des rapports avec le maître.

Le bien que peut faire l’Asile dépend de la capacité et des dispositions du maître ou de la maîtresse appelé à le diriger ; mais le devoir de les surveiller, de les instruire, de les encou­rager appartient aux dames. C’est donc sur elles que pèse la responsabilité tout entière.

Nous n’osons point dire ce que devrait être ce maître ou cette maîtresse, et de combien de vertus et de qualités ils devraient être pourvus; car nous craignons, en traçant un tel portrait, de n’inspirer que découragement et de n’obtenir pour toute réponse que cette question : Où trouver un pareil phénix? Contentons-nous donc d’indiquer au moins ce qu’ils ne doivent pas être. La personne à laquelle est confiée la di­rection d’un Asile ne doit pas embrasser cette vocation si [269] importante par pure convenance et comme elle accepterait tout autre emploi lucratif. Malheureusement, il n’en est que trop fréquemment ainsi. Des personnes accablées par des revers de fortune, ayant perdu toute ressource, demandent souvent la direction des Salles d’Asile, ou même on pense à la leur offrir lorsqu’elles sont connues des fondateurs. Nous sommes loin de désapprouver ces combinaisons de la charité qui jouit si vivement lorsqu’elle peut faire le bien de deux côtés à la fois; mais cependant nous avons eu lieu de reconnaître que de telles considérations pouvaient en faire disparaître de beaucoup plus importantes, et que les personnes qui, à ce titre, obtenaient la préférence, n’étaient pas toujours douées comme elles auraient dû l’être. Quel est le but qu’il faut at­teindre? Est-ce le bien de l’établissement? est-ce la satisfac­tion et le bien-être de la personne chargée de le diriger? On ne saurait hésiter sur la réponse; il est donc indispensable que le caractère et les qualités de cette personne soient envi­sagés, abstraction faite de sa position. Loin donc d’être uni­quement attirée par l’appât d’une situation avantageuse, il faut qu’elle se sente portée par l’impulsion et le besoin de son cœur à s’occuper des enfants, qu’elle les aime, qu’elle ait pour eux un intérêt véritable et des entrailles de compassion ; il faut qu’elle soit disposée à recevoir les directions, les con­seils des dames inspectrices, qu’elle soit docile à leurs répri­mandes, et modeste lorsqu’elle reçoit les marques de leur approbation; que ses propres intérêts ne lui fassent point négliger ceux de ses élèves.

Si l’on a pu trouver une personne qui semble offrir toutes les garanties désirables, sans doute on doit en éprouver de la joie; mais que ce ne soit pas un motif pour concevoir une sécurité trop entière qui, entraînant peu à peu vers le relâ­chement dans la surveillance, serait peut-être également fu­neste au maître et aux enfants.

11 y a certainement des exceptions, et l’on pourrait citer tel maître qui fait mieux à lui tout seul que ne le ferait un comité tout entier; mais un cas semblable est fort rare, et [270] encore est-il que le fardeau que porte le maître est trop pesant pour lui et qu’on doit l’aider à le supporter. Ce n’est qu’à la longue, et après bien des heures et des jours d’observation, que l’on peut être assuré qu’un maître ne démentira en aucune circonstance la bonne opinion que l’on aura conçue de lui ; et lors même que l’on a acquis cette conviction, n’admettra-t on pas qu’il peut être sujet à se tromper, et que la pensée de la surveillance des dames peut lui être secourable dans des in­stants de découragement, d’impatience ou d’exaltation d’a­mour-propre? Mais, pour que cette surveillance puisse avoir de tels résultats, comment doit-on l’exercer? De quelle na­ture seront les rapports des dames avec les maîtres? Ces rap­ports ne produiront aucun fruit s’ils ne sont entièrement sim­ples, sérieux, confiants, et tout à fait dénués d’un côté de pré­tentions d’amour-propre et de complaisance adulatrice, de l’autre de fierté, de roideur et de sécheresse. Lorsqu’on se rencontre sur le terrain de la charité, l’âme doit s’adresser à l’âme, et le cœur parler au cœur; on ne peut plus observer dans toute leur rigueur ces convenances sociales qui placent si souvent une muraille d’airain autour de nous; ce qui ne veut pas dire que les dames inspectrices et déléguées, et les maîtres et maîtresses des Salles d’Asile, ne restent pas chacun à leur place, mais que la confiance, la simplicité et la bienveillance doivent caractériser les rapports qui s’établissent entre eux. C’est donc avec une véritable peine que les inspec­trices, qui ont compris la nature de ces rapports, voient quelquefois les directeurs d’une Salle d’Asile leur en faire en quelque sorte les honneurs, faire devant elles parade de leurs succès et solliciter, pour ainsi dire, des éloges. S’ils étaient convaincus que les dames sont leurs compagnes d’œuvre et désirent sincèrement les aider dans l’accomplissement de leur tâche, au lieu de prendre un masque pour l’instant de la vi­site et de ne montrer de l’établissement que les beaux côtés, ils indiqueraient le mal comme le bien, suivraient le cours habituel de leurs occupations, leur parleraient d’abondance de cœur, leur révéleraient leurs peines, leurs inquiétudes, [271] leurs espérances au sujet de leurs jeunes élèves, leur avoueraient ingénument les mouvements de lassitude ou de décou­ ragement qu’ils peuvent éprouver, et de telles habitudes de confiance et d’expansion tourneraient au profit de l’établis­sement et à l’instruction des commissions de surveillance.

Mais comment, dira-t-on peut-être, les dames réussiront-elles à établir de tels rapports? D’abord en ne permettant pas que leur présence détourne jamais l’attention du maître de ses élèves, et en établissant qu’il agira, parlera, conti­nuera ses discours et ses leçons comme s’il était absolument seul ; ensuite en partageant parfois ces soins avec lui, ou du moins en écoutant attentivement les enseignements qu’il donne. Elles recueilleront ainsi les éléments des observations qu’elles pourront plus tard communiquer au maître dans un entretien amical et confiant. Qu’elles lui disent toute leur im­pression, même lorsqu’elle est défavorable, mais en s’iden­tifiant avec sa position et les difficultés qu’il rencontre ; qu’elles lui fassent bien comprendre que son œuvre est la leur, que ses peines sont leurs peines, que ses joies seront leurs joies.

Les dames inspectrices doivent être convaincues d’une im­portante vérité, c’est qu’il faut commencer parfaire passer dans l’âme, le cœur ou l’intelligence des maîtres et des maî­tresses toutes les instructions qu’elles désirent faire arriver jusqu’aux enfants; car le maitre est leur organe, leur voix ; lui seul est constamment à portée de mettre à ces instructions la suite nécessaire, de profiter des instants convenables et des circonstances accidentelles pour les faire pénétrer dans ces jeunes âmes. Si d’ailleurs il n’entre pas suffisamment dans les vues des dames, si leurs idées ne sont pas devenues les sien­nes, ne peut-il pas effacer en grande partie toutes les impres­sions qu’elles auront pu produire?

Il est facile de comprendre que ce n’est pas en cherchant à imposer des idées et en donnant des ordres que l’on obtien­dra ce résultat. Il faut persuader, convaincre, et cette tâche est beaucoup moins épineuse qu’on ne le pourrait supposer; [272] il ne s’agit que de l’entreprendre avec des sentiments de patience, de persévérance et d’espoir. La persévérance dans le bien, lorsqu’elle repose sur la confiance en Dieu et qu’elle est accompagnée d’un esprit de prière, est infailliblement suivie du succès. La patience peut surmonter toute disposi­tion hostile; et l’espoir, qui se communique, ranime le zèle et fait triompher des obstacles memes qui avaient d’abord paru les plus invincibles.

Abordons successivement les points sur lesquels les dames inspectrices peuvent être appelées à faire des remarques de désapprobation, et parlons premièrement du mode d’ensei­gnement.

Supposons que le maître a de la bonne volonté et du dé­vouement, qu’il désire sincèrement instruire et amuser ses jeunes élèves, mais qu’il n’a pas suffisamment réfléchi à ce qu’est la portée de leur intelligence, ni à la nécessité de ne donner que des instructions graduées et tout à fait élémen­taires, et qu’en conséquence il manque de discernement dans le choix des sujets de leçons, dans celui des mots dont il se sert; il ne peut être compris, les enfants répètent comme de
dociles perroquets les sons qu’ils entendent, et à de certains jours leur mémoire leur fait jouer un rôle qui n’est bon qu’à exciter leur amour-propre. Des heures précieuses s’écoulent sans leur apporter d’enseignements utiles; l’être intellectuel ne se développe pas, et l’être moral est par cela même plus difficile à diriger; tout cela est fâcheux et doit exiger de notre part une attention sérieuse. L’on n’y remédiera qu’en élargissant la sphère des idées du maître, en lui faisant com­prendre l’enfance; pour cela, il faut que les dames l’étudient avec lui, et chacune de leurs observations, de leurs expé­riences l’instruira et lui servira d’exemple pour s’appliquer aussi à réfléchir et à observer.

Maintenant fixons notre attention sur des inconvénients plus graves encore que ceux que nous venons d’indiquer. Nous supposons que la personne chargée de la direction de l’Asile possède les qualités requises pour cette tâche, que la [273] douceur, la patience s’unissent en elle à une mesure conve­ nable de fermeté, de tenue et de sérieux ; que l’habitude d’élever la voix avec colère, et de manifester de l’impatience ou de l’irritation par ses paroles ou ses gestes, lui est étran­gère; mais néanmoins la direction morale des enseignements est fausse, nuisible. Le maître encore ici ne comprend pas l’enfant, les réprimandes sont peu judicieuses, intempestives, injustes peut-être, ou bien une indulgence répréhensible prend la place d’une sévérité nécessaire. Les éloges donnés à l’enfant s’adressent à son amour-propre, alimentent en lui l’orgueil et lui donnent de soi-même une idée de supériorité sur ses camarades qui ne saurait être trop soigneusement combattue.

L’enfant, dès son plus jeune âge, offre tous les traits mo­raux de l’homme fait. Le maître chargé de le conduire ne le comprendra que lorsqu’il aura pu apprendre à lire dans son propre cœur. Si la nature de cette étude et de cette analyse lui est étrangère; s’il n’a pas été initié à cette science, sans laquelle nous marchons en aveugles dans la vie, les dames inspectrices sont appelées à la lui enseigner.

Ce n’est pas certainement par des enseignements intellec­tuels ni par de simples préceptes moraux que nos dispositions naturelles peuvent être modifiées, nos passions subjuguées, nos désirs rendus plus purs. La plus légère amélioration mo­rale peut-elle être obtenue avant que le cœur soit touché et qu’on ait senti vibrer les cordes de la conscience? Pour l’en­fant comme pour l’homme fait, il ne peut y avoir pour toute vertu, pour tout perfectionnement qu’un mobile vraiment puissant, élevé, inébranlable; ce mobile c’est l’amour de Dieu; nous disons l’amour, car la crainte resserre le cœur, le comprime, le dompte par violence, mais ne le change pas. L’amour de Dieu peut seul produire en nous l’accomplisse­ ment de ses commandements et nous conduire à aimer notre prochain comme nous-mêmes; le petit enfant qui aime Dieu a autant de force pour faire ces choses que peut en posséder l’homme avancé en Age. On ne saurait nier la puissance [274] qu’exerce en nous un sentiment tendre et profond; chaque jour nous pouvons constater que l’influence d’êtres mortels et imparfaits la fait naître et la développe dans notre cœur. Et Dieu qui a créé notre âme, l’auteur, le maître de notre vie, celui qui nous aime mille fois plus que nous ne nous aimons nous-mêmes, serait-il le seul à qui nous refuserions l’influence que nous accordons aux créatures, objets de notre amour ? Souvenons-nous que Celui qui a dit : « Vous aimerez le Sei­gneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de toute votre pensée, » a aussi ajouté : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. » Nous devons donc diriger tous nos efforts vers le développement de l’amour de Dieu dans le cœur des petits enfants. L’Evan­gile, si nous y puisons les directions dont nous avons besoin, nous fera trouver le moyen d’ouvrir ces cœurs à la puissance de cet amour.

L’Évangile nous enseigne par quelles voies de grâce et de pardon Dieu daigne attirer à lui nos âmes et les faire entrer dans une vie nouvelle ; mais il faut que nous le sentions, que nous le fassions sentir à nos maîtres ; car ce n’est qu’alors que notre amour pour les jeunes âmes confiées à nos soins devien­dra plus tendre, notre intérêt pour elles plus vif, et que nous éprouverons véritablement le besoin de les amener à la con­naissance et à l’amour du Seigneur.

Des rapports avec les enfants.

Les rapports des dames avec les petits enfants durant le temps de leur visites à l’Asile doivent aussi concourir à l’in­struction du maître ; souvent même il leur sera facile de lui faire saisir, par leur manière d’agir, ce qui lui semblerait peut-être abstrait et incompréhensible présenté en théorie. Mais pour pouvoir enseigner par l’exemple, il faut don­ner toute son attention de cœur et d’esprit à l’étude des pe­tits êtres que l’on vient visiter, et apporter à cette étude un désir sincère de s’instruire soi-même; alors, n’eût-on qu’un [275] quart d’heure à y consacrer, la visite ne sera pas inutile. Un charme puissant et irrésistible entoure l’enfance, et lui donne tant d’attrait que nous pouvons dire avec certitude à celles de nos compagnes qui peut-être ressentiraient de la répugnance ou de l’éloignement à se livrer à cette étude, qu’elles ne sauraient la poursuivre sans s’y attacher toujours plus et sans éprouver l’effet des sentiments aussi doux que salutaires que chaque expérience fera naître dans leurs cœurs. L’enfant né de parents pauvres, abandonné à lui-même presque dès les premiers instants de sa naissance, est comme la jeune fleur sauvage qui germe et croît battue par les vents. L’enfant élevé au sein de l’opulence peut être com­paré à ces plantes que mille soins entourent et qui reçoivent de la main qui les cultive une direction, des formes et jus­qu’à des couleurs différentes de celles qu’elles eussent dû à la nature. Le premier nous offrira une naïveté d’impressions qui chez le second aura peut-être été altérée de bien bonne heure, quoique tous les deux au fond nous présentent les mêmes traits de physionomie morale. Dans le cours de nos observations journalières, appliquons-nous à reconnaître les impressions de nos petits protégés; évitons de n’éveiller en eux que crainte ou simple curiosité; tâchons de leur inspirer une affection mêlée de respect; causons avec eux comme nous causerions avec nos propres enfants ; n’excitons pas leur ba­bil, mais provoquons par nos réponses un besoin d’expan­sion qui plus tard produira la confiance. Si c’est à un enfant peu docile que nous nous adressons, efforçons-nous, sans le froisser, de réveiller dans son âme le sentiment de la con­science, de la reconnaissance et du devoir. Parlons-lui de Dieu qui le voit, qui l’entend, et qu’il afflige par sa désobéis­sance. (1) Si, au contraire, nous parlons à un enfant facile à [276] diriger et dont les dispositions soient douces et bonnes, disons-
lui qu’il doit être reconnaissant envers le bon Dieu qui le protège et le préserve du malheur de l’offenser, et faisons-lui comprendre qu’il doit l’en remercier ; puis instruisons-le à plaindre ceux de ses petits compagnons dont la conduite est répréhensible ; engageons-le à redoubler d’efforts pour ne leur donner jamais que de bons exemples, mais abstenons-nous avec soin de toute louange qui pourraitpénétrer comme un poison subtile dans cette jeune âme et y développer l’or­gueil et l’égoïsme. Nous avons dit plus haut que parfois il se­ rait utile que nous partageassions avec le maître les fonctions qu’il exerce, et voici comment cela se peut faire. Que les en­fants soient habitués à nous voir, qu’ils s’en réjouissent même, ce qui aura toujours lieu dès qu’ils sentiront que nous les visitons avec intérêt et affection; alors il nous sera facile de leur adresser aussi la parole, de les amuser et de les in­struire en leur racontant quelque histoire que nous aurons pu préparer d’avance, ou de seconder le maître dans la sur­ veillance, soit aux heures d’étude, soit pendant les récréa­tions. Faisons en sorte que chacune de nos visites puisse laisser quelque trace salutaire dans le cœur ou dans l’intelli­gence de nos petits enfants. Nous avons vu des personnes pleines de bonté et d’affection pour eux, arriver dans un Asile avec des corbeilles remplies de gâteaux qu’elles leur distri­buaient et qui étaient reçus avec une grande joie. Sans doute l’impulsion qui porte à procurer un plaisir à de pauvres petits êtres qui ne vivent pour la plupart que de privations est tou­chante et louable; mais nous croyons néanmoins qu’il n’est pas désirable qu’elle choisisse cette manière de se manifester; car pourquoi faire connaître à l’enfant une jouissance qui ne se renouvellera pas de longtemps pour lui? et pourquoi lui présenter comme jouissance l’appât de savourer quelques friandises? Nos pauvres petits élèves devront, en avançant en âge, gagner péniblement par le travail leur pain de chaque jour, ce pain sera arrosé de bien des sueurs et de bien des larmes de souffrance; il est donc nécessaire que l’éducation [277] de leurs premières années les prépare à cette dure con­dition ; qu’elle contribue par tous les moyens possibles à tremper fortement leur âme; qu’elle s’attache à déraciner tous les penchants vicieux qui seraient une source de mal­ heur. Et la gourmandise n’est-elle pas un de ceux qui entraî­nent après soi plus de misère et de dégradation morale?
Habituons ces pauvres enfants à être sobres, ne leur faisons jamais fête d’être nourris de tel aliment plutôt que de tel au­tre. Que celui qui n’a dans son panier qu’un morceau de pain sec; qui même, arrivant les mains vides, doit le recevoir de la charité des bienfaiteurs de l’Asile, apprenne à sentirautant de gratitude en se rassasiant de ce pain que l’enfant qui apporte des provisions abondantes pour ses repas de la journée.

(1) Il est nécessaire cependant d’user de prudence et de ménagement, et de ne pas prononcer le nom de Dieu à propos des fautes les plus légè­res et les plus habituelles ; car il ne faut pas qu’un enfant puisse s’accou­tumer à la pensée d’offenser Dieu, de sorte qu’elle ne lui fisse plus d’im­pression.

Nous avons dit, dans le chapitre qui précède, qu’un seul mo­bile vraiment puissant peut nous porter au bien, et que ce mo­bile, c’est l’amour de Dieu. Que tous les enseignements tendent donc à développer à nos enfants cette parole si touchante : «Dieu est amour » (Saint-Jean, iv, 8). Il n’y a pas une circon­stance de leur vie qui ne puisse nous fournir les moyens de présenter cette vérité sublime. Les bienfaits de Dieu se renou­vellent àchaque heure, à chaque seconde, et nous ne saurions les faire sentir trop fréquemment. Dès que le reflet de cet amour aura pénétré dans une jeuneâme, l’obéissance deviendra pour elle douce et facile. Nous devons, disons-nous, profiter de toutes les occasions qui peuvent fournir les moyens de produire une telle impression ; mais il en est un infaillible et dont nous de­vons faire usage dès que les premières lueurs de l’intelligence commencent à briller. Parlons souvent de ce Sauveur qui veut que nous recevions « comme un petit enfant le royaume de Dieu » (saint Marc, x, 15). Habituons les nôtres à sentir près d’eux cet ami céleste qui les appelle et veut les bénir. Faisons-leur comprendre que, sans le secours de cet ami di­vin, ils ne sauraient résister aux penchants qui les portent ou les porteront inévitablement au mal. Disons-leur comment il s’est fait notre frère pour que nous devinssions ses rachetés et [278] de nouvelles créatures. Et le sentiment chrétien, pénétrant dans un jeune cœur comme une rosée du ciel, y fera germer toutes les dispositions paisibles et pures.

Il y a dans l’Évangile tant de récits attendrissants propres à captiver, à émouvoir le cœur du plus jeune enfant, que si nous savons puiser à cette source sacrée, nous ne la verrons jamais se tarir ; et les réflexions dont elle-deviendra le sujet seront en bénédiction, non-seulement pour les pauvres petits êtres, objets de notre sollicitude, mais aussi pour nos propres âmes.

Des rapports avec les parents.

Nous avons indiqué comme un des devoirs importants que les dames inspectrices et déléguées ont à remplir les rapports à entretenir avec les parents des enfants, et nous avons dit que ces rapports se rattachaient en quelque sorte aux fonc­tions de dames de charité. Il nous reste donc à définir quelles doivent être ces relations.

L’enfant admis dans l’Asile ne tardera pas, nous osons l’es­pérer, à ressentir l’heureuse influence de l’air qu’il y respire. Ses dispositions, ses habitudes, sa santé ne peuvent que s’y améliorer progressivement. Environné de support, de vigi­lance, d’affection, son cœur se dilatera, la vie lui sera douce et légère à porter , mais, rentré le soir au sein de sa famille, comment y sera-t-il traité? Quelles privations, quelle con­trainte, quelles paroles ou de dureté ou d’excessive faiblesse l’y attendent? Y trouvera-t-il de bons ou de mauvais exem­ples? Voilà ce qu’il est utile de savoir, afin de donner à l’en­fant les leçons ou plutôt les enseignements moraux dont il peut avoir besoin. Les pères et mères de famille de la classe ouvrière et pauvre sont pour la plupart peu capables de bien élever leurs enfants; souvent ils les gâtent ou les maltraitent. Il peut donc être indispensable, dans de certains cas, d’agir auprès d’eux en même temps qu’on s’efforce d’instruire l’en­fant de ses devoirs et de réprimer le développement des dis­ positions perverses qu’on a pu observer en lui ; et si l’on [279] réfléchit au bien qui peut en résulter pour les parents eux-mêmes qui, pour la première fois de leur vie peut-être, enten­dront le langage de la raison et delà piété, on trouvera des motifs bien puissants de ne point reculer devant une telle œuvre. Une autre considération encore rend nécessaire de connaître la position des familles dont les enfants sont reçus dans les Asiles ; c’est qu’il est désirable que, pendant l’hiver, on accorde des secours en soupes, vêtements et chaussures aux plus pauvres de ces enfants. Ces distributions doivent être faites avec justice, et des parents dont la misère ne se­ rait pas réelle, ou qui ne feraient point, pour subvenir aux besoins de leurs enfants, tout ce qui serait en leur pouvoir,
ne devraient pas être appelés à la participation de ces bien­ faits.

Quelquefois les directeurs ou les directrices d’Asile sont chargés de visiter les familles des enfants; nous ne pouvons certainement pas désapprouver cette mesure, si c’est par une impulsion véritable de bonne volonté que les maîtres rem­plissent à cet égard les désirs des dames; mais nous observe­rons qu’on ne doit pas les détourner de leurs devoirs d’inté­rieur durant la semaine, et que le dimanche est le seul jour qu’ils aient de libre et qu’ils puissent consacrer au repos; s’ils visitent alors quelques familles, rien de mieux, mais il restera encore beaucoup à faire après eux. Si, par exemple, un enfant tombe malade, la visite d’une des dames du comité ne sera-t-elle pas utile et consolante pour ses parents? Ses conseils ne seront-ils pas accueillis avec reconnaissance ? Les paroles d’affection qu’elle adressera au petit être souffrant
ne pénétreront-elles pas jusqu’au fond du cœur de la pauvre mère inquiète et désolée? Et de ce jour ne s’établira-t-il pas entre cette dame et cette famille des rapports qui donneront plus d’autorité à ses avis et plus de puissance à ses recom­mandations?

Il y a plus de douceur que nous ne saurions l’exprimer dans cette nature de charité dont les témoignages semblent retirer le pauvre envers qui elle s’exerce de l’état d’abjection [280] et d’humiliation où il est placé; cl c’est ce qui nous fait insister pour que les dames inspectrices et déléguées s’appli­quent à la mettre en pratique.

On a pu remarquer souvent que tel être dont le cœur est ulcéré par les souffrances et la misère, dont l’âme est remplie d’un fiel amer qu’il exhale en paroles d’envie contre le riche, et de blasphème contre la Providence, était d’abord surpris, puis attendri et subjugué par la manifestation d’un genre d’intérêt si nouveau pour lui. Peut-être l’aumône qu’il avait reçue n’avait pu ni amollir son cœur, ni adoucir ses impres­sions, parce qu’il avait cru ne l’obtenir que du dédain et d’une orgueilleuse pitié; mais ici il ne peut méconnaître un sentiment de compassion véritable; on vient à lui, on le cherche, on le plaint; il cesse d’être hostile et en méfiance, et lorsqu’ensuite on lui adresse de sages conseils, il est plus disposé à les accueillir, car il voit et sent que c’est une âme amie qui les lui présente.

Nous voudrions pouvoir retracer tout le bien que les dames inspectrices et déléguées peuvent être appelées à faire au sein des familles de leurs enfants adoptifs; mais ce sujet est trop étendu pour que nous puissions le traiter en entier; il nous paraît suffisant de l’avoir indiqué, car les dames seront facilement instruites et dirigées par leur propre impulsion, si la destinée des petits enfants dont elles s’occupent leur est vraiment chère, et si leurs pensées et leur sollicitude les sui­vent dans l’humble et triste réduit où von t peut-être s’éteindre leurs innocentes joies et où se présentent à eux de si pénibles contrastes.

S’il est d’un intérêt pressant et général qu’un grand nombre de Salles d’Asile soit établi en France et dans toutes les autres contrées, il n’est pas moins à désirer que l’esprit de ces éta­blissements soit ce qu’il doit être, que leur direction soit con­fiée à des mains prudentes, et qu’enfin ces voies d’instruction ouvertes aux petits enfants des classes pauvres les conduisent sûrement au bien et les détournent du mal. Si cette première éducation est essentiellement pure, morale et chrétienne, [281] l’impression reçue d’elle ne s’effacera pas, et l’instruction primaire des écoles, sans rien perdre de son importance, ne sera plus néanmoins responsable du sort de tant de jeunes êtres, pour lesquels elle est insuffisante ou elle arrive trop tard. Plus on réfléchira aux résultats que peut amener pour les générations naissantes l’extension des Salles d’Asile, et plus nous croyons que l’on se trouvera entraîné à travailler avec ardeur à en accroître le nombre. C’est dans cette douce conviction que nous adressons de nouvelles instances aux personnes qui ressentiront cette impulsion généreuse.

Nous les pressons de consacrer à l’œuvre des Asiles une portion de leur temps, de leurs pensées et de leurs efforts ; mais nous les supplions aussi de ne l’entreprendre qu’avec les dispositions qui sont indispensables et que nous avons tâché d’analyser et de faire saisir.

[282] CHAPITRE XVIII. DE LA TENUE INTERIEURE DES SALLES D’ASILE.

Vérification des absents.

L’ordre et la régularité sont deux points de discipline dont on ne peut, sans de graves inconvénients, s’écarter dans les Salles d’Asile. Les directeurs et les directrices de ces éta­blissements « doivent constater chaque jour les absences et les présences, non en faisant subir un appel à des enfants si jeunes, mais en lisant tous les noms inscrits sur le registre matricule, et se faisant aider dans leurs observations par la femme de service et quelques-uns des enfants plus âgés. (Règlement general, art. 44.) En cas d’absences réitérées d’un enfant sans motif connu d’avance, le surveillant s’informera des causes qui auront pu occasionner cette absence et en tiendra note pour en instruire la dame inspectrice. » (Id., art. 46.)

L’exécution de ces deux articles est d’une indispensable nécessité. La sollicitude d’un directeur d’Asile ne peut être vraiment excitée que s’il s’occupe des enfants UN A UN, et non pas seulement en masse; on peut dire la même chose à l’égard des dames inspectrices et déléguées; et, de plus, il devient impossible pour elles de pouvoir secourir les enfants dans les moments les plus urgents, si leurs absences ne sont point constatées. Mais on doit reconnaître que dans une Salle d’Asile contenant cent, cent cinquante, deux cents, deux cent cinquante et même trois cents enfants, rien n’est plus difficile que de constater les présences, même en lisant le registre matricule; car cette formalité, qui ne peut être remplie [283] que lorsque les enfants sont réunis sur le gradin, les en­nuiera inévitablement5 pendant ce temps, les exercices et les leçons ne pourront se continuer; le désordre, qui toujours suit l’immobilité, ne tardera pas à se mettre dans les rangs; ou bien les enfants seront sous le poids d’une contrainte qu’il faut à tout prix éviter de leur imposer. De là il résulte que l’on n’accomplit pas exactement le devoir prescrit par le règlement, du moins suivant le procédé qu’indique l’art. 44.

Un moyen beaucoup plus simple a été employé dans quel­ ques Asiles et a fait disparaître toute difficulté. Voici quel il est.

Le panier de chaque enfant porte un numéro, qu’on a soin d’écrire sur le registre matricule à côté de son numéro d’in­scription; les tablettes disposées dans le préau pour recevoir les paniers portent également des numéros correspondant à ceux de ces paniers qui, chaque jour, sont déposés exacte­ment à la même place.

Ces numéros sont encore reportés sur un tableau (1), où ils sont placés en colonne; et à côté de chacun d’eux se trouve fixé un bulletin mobile, contenant le nom, l’àge de l’enfant au­ quel ce numéro a été donné, la profession et la demeure de ses parents. Ce tableau fait connaître immédiatement quels sont les enfants absents, et donne au directeur ou aux dames inspectrices toute facilité pour transcrire leurs noms. Comme il y a beaucoup de changements d’enfants dans les Salles d’Asile des grandes villes, on a trouvé commode les bulletins mobiles pour les enregistrer en tableau [284] joindre le nom de l’enfant que l’on trouve sur la planchette à côté de son numéro.

(1) Ce tableau a reçu le nom de planchette, parce qu’il est en bois, pour plus de solidité.

On a obtenu aussi dans quelques Asiles un avantage réel à faire porter à chaque enfant un petit médaillon (suspendu à son cou et caché sous ses vêtements), sur lequel est gravé le même numéro qui se trouve sur le panier.

Quelques personnes ont été choquées de cette idée de nu­méroter les enfants; mais ont-elles réfléchi que la plupart sont si jeunes qu’ils savent à peine parler, et sont souvent incapables de dire leur nom ou d’indiquer la demeure de leurs parents? Comment donc constater leur identité (surtout quand ils sont nouvellement reçus à l’Asile), soit pour leur distribuer la nourriture contenue dans les paniers, soit pour les distinguer entre eux?

Nous avons vu des directeurs excellents être dans cet em­barras à l’égard de tous jeunes enfants placés depuis peu de temps sous leur surveillance. Les dames inspectrices et délé­guées ont aussi grand besoin de pouvoir connaître le nom des enfants sans avoir à interpeller le maître ou la maîtresse, qu’il faut le moins possible détourner de ses occupations et de ses devoirs du moment. Regarder le numéro que porte l’enfant dont il peut être question, et aller ensuite vérifier sur le tableau son nom et son adresse, est ce qu’il y a de plus prompt et de plus facile à exécuter. Parfois ce ne sera pas seulement à l’Asile, mais au dehors, que les dames devront chercher à savoir les noms des enfants qu’elles rencontreront dans les rues, errant seuls, ou ne se conduisant pas conve­nablement; alors encore le plus court moyen est de voir le numéro du médaillon et d’en prendre note.

Quand un enfant cesse de venir à l’Asile, son numéro est donné à un des enfants qui lui succèdent (1), par ce moyen, l’on sait toujours exactement combien il y a d’enfants qui fréquentent l’établissement.

(1) Le bulletin mobile de la planchette doit être alors changé.

Il serait désirable que les dames inspectrices et déléguées [285] considérassent comme un des devoirs importants qu’elles peuvent remplir celui de constater les absences lorsqu’elles visitent l’Asile à l’heure où les paniers sont rangés sur les tablettes; elles diminueraient ainsi les occupations du maître en les partageant avec lui.

On doit répéter ici ce qui a été dit plusieurs fois déjà, c’est que les visites des dames à domicile pour vérifier les causes de l’absence des enfants sont le seul moyen qui puisse faire naître et entretenir en elles un intérêt véritable pour ces enfants, en les mettant à même de connaître leurs besoins et les circonstances dans lesquelles ils se trouvent.

De la division des enfants par sexe.

La réunion dans les Salles d’Asile d’enfants des deux sexes est un point sur lequel les opinions sont partagées. En Angle­terre, en Écosse, en Allemagne on ne songe pas à séparer ces enfants; en Italie on n’a pas jugé convenable de les rece­voir dans les mêmes établissements. En France, les sœurs de quelques communautés ne consentent à diriger des Salles d’Asile que lorsqu’il y a des classes et des préaux différents pour les petits garçons et pour les petites filles. Diverses congrégations cependant agissent selon la nécessité, et n’exi­gent point cette séparation quand la disposition des localités, ou le peu de fonds affectés au soutien des Asiles, rend impos­sible de l’effectuer.

A Paris, la Salle d’Asile de la Halle-aux-Draps contenant plus de quatre cents enfants, il a fallu les diviser en deux classes, afin de rendre la surveillance plus facile, et l’on a séparé les filles des garçons.

Nous croyons devoir présenter ici les considérations sur lesquelles on s’appuie pour réunir ou séparer les enfants; mais nous ne prétendons pas résoudre cette question sur laquelle le temps seul peut donner des lumières suffisantes.

Les personnes qui adoptent le système de la réunion pensent [286] que l’âge des enfants doit inspirer assez de sécurité (sans toutefois négliger une active surveillance) pour qu’ils puis­ sent partager les mêmes études et les mêmes jeux. Dans un Asile bien dirigé, la séparation existe toujours; mais elle est le résultat d’une loi morale à laquelle les enfants sont tenus d’obéir. C’est travailler à leur destinée future que de leur imprimer le respect de cette loi, en faisant naître en eux des sentiments de réserve et de délicatesse envers leurs petites compagnes, qu’ils doivent être instruits à protéger et à res­pecter. Quelle est et quelle sera la position de tous ces en­fants dans leurs familles et dans le monde? Seront-ils isolés les uns des autres? Ne se trouveront-ils rapprochés que sous une direction éclairée et vigilante? Non; dans le domicile paternel ils sont, au contraire, tellement réunis que trop souvent le frère et la sœur dorment dans le même berceau, et les enfants d’une même maison, ceux d’un même quartier, vivent pêle-mêle sur les escaliers ou sur le pavé des rues; alors personne ne les surveille, personne ne peut réprimer leurs inclinations vicieuses, personne ne peut les préserver du mal. L’enseignement mutuel du vice, c’est-à-dire l’exem­ple, se présente à eux chaque jour, et à cette funeste in­fluence ils n’ont aucune force à opposer ; car ils n’ont pu recevoir aucun enseignement qui ait éveillé sur ce point leur conscience. Lorsque les enfants sont réunis dans la même Salle d’Asile, mille occasions s’offrent d’elles-mêmes de leur inspirer la pureté d’esprit et de corps. C’est le seul temps de leur vie peut-être où de telles leçons leur puissent être données, puisque dans les écoles il n’y a plus de rapproche­ ment possible. A mesure que ces enfants grandiront, les cir­constances dans lesquelles ils doivent vivre ne se modifieront que pour leur présenter de nouveaux dangers; il est donc nécessaire que dès la plus tendre enfance on s’empresse de réprimer les dispositions perverses, et de développer les instincts et les habitudes honnêtes et irréprochables. Tels sont les motifs qui portent à réunir les enfants. Mais pour les séparer on objecte que la surveillance n’est jamais assez [287] complète pour que les filles ne se ressentent pas d’une ma­nière fâcheuse de la société des garçons; que pour les élever et les instruire on doit s’y prendre avec elles d’une façon toute différente; que les leçons et les directions dont elle, ont besoin sont d’une autre nature que celles que réclament les petits garçons; qu’en les enseignant tous et toutes à la fois, l’éducation ne peut être ni assez masculine, ni assez féminine; et que la bonne tenue des Asiles, sous le rapport intellectuel et physique, peut en souffrir. On pense aussi qu’en séparant dès le commencement les enfants on inspire aux filles plus de douceur et de modestie. On trouve enfin la surveillance moins difficile à exercer.

L’avenir éclairera ces diverses questions; elles sont assez importantes (puisqu’elles touchent à la moralité publique) pour fixer l’attention des fondateurs des Salles d’Asile, et surtout des dames inspectrices et déléguées qui, en suivant les enfants au sein de leurs familles, et en continuant à prendre sur eux des renseignements après leur entrée dans les écoles, pourront savoir s’ils grandissent dans de bons sentiments et s’ils se distinguent par leur bonne conduite.

De la division des Enfants par âge.

La division des enfants par âge, c’est-à-dire en classes séparées pour les petits et les plus grands, n’est point adoptée en France; mais elle existe dans la plupart des autres con­trées. On en a senti la nécessité à l’égard des enfants et à l’égard des personnes qui les instruisent.

Il y a une plus grande différence entre la compréhension d’un enfant de trois ans et celle d’un enfant de cinq à six ans qu’il n’y en a entre celles d’un homme et d’un enfant de douze ans. Quiconque a étudié la première enfance est convaincu de cette vérité. Lorsque l’on parle à cent cinquante ou deux cents enfants réunis sur les gradins d’une Salle d’Asile, les trois quarts au moins de ce nombre ne s’intéressent [288] nullement à ce qui se dit ; car le directeur ou la directrice qui leur parle (tandis que l’adjointe maintient la tranquillité), se sert pour se rendre intelligible aux plus petits, d’un langage qui ennuie inévitablement les plus grands; ou bien si c’est à ceux-ci que renseignement s’adresse, c’est alors le tour des petits de s’ennuyer et d’être corrigés par la surveillante chargée de rétablir l’ordre. Dans les deux cas, l’enseignement est constamment troublé par les reproches faits à la partie de l’auditoire qui s’ennuie et qui remue, et bien souvent fait plus mal encore. Les marches, les évolutions, le chant, les repas, les récréations peuvent avoir lieu en commun, quoi­ que les récréations aussi se passent beaucoup mieux lorsque les petits enfants sont séparés des plus grands, qui tendent souvent à abuser de leur force. Mais la conversation qui est le meilleur mode d’instruction ne peut se faire de la même manière, puisqu’elle ne peut être profitable que si les enfants écoutent et comprennent ce qui leur est dit, afin de pouvoir le retenir.

Il serait donc à désirer qu’à l’exemple de ce qui se prati­que dans la plupart des Asiles d’Angleterre, d’Italie, de Suisse et d’autres pays, on partageât les enfants en trois sec­tions, au moins pendant une heure par jour, ou même pen­dant une heure le matin et une demi-heure l’après-midi. On laisserait jouer dans le jardin ou dans le préau les plus petits enfants, sous la surveillance de la femme de service, qui doit être choisie dans les rangs des meilleures mères de famille dont les enfants fréquentent l’Asile. Les enfants de trois à cinq ans, sous la direction d’une des deux maîtresses, et ceux de cinq à six ans sous la direction de l’autre, formeraient deux classes placées, l’une sur les gradins (et ce devrait être la plus nombreuse), l’autre à l’extrémité de la salle, en fai­sant asseoir les enfants sur les bancs devant lesquels on en ajouterait de mobiles pour ce moment seulement.

Ces enfants recevraient alors un développement intellec­tuel plus réel, car il serait proportionné à leurs facultés. Le continuel renouvellement des enfants produit dans les Asiles [289] par les fluctuations ordinaires de la population des grandes villes rend ce partage en divisions séparées encore plus désirable ; car les nouveaux venus dérangent toujours l’ordre que l’on ne parvient que difficilement à établir parmi les plus anciens.

Dans l’état actuel des choses, les meilleurs directeurs et les meilleures directrices sont, avant tout, préoccupés de l’idée qu’il faut particulièrement, à l’estrade, faire passer le temps aux enfants. Sans doute il y a cela à faire ; cependant, il y a bien autre chose aussi. Mais comme on ne peut pas donner l’instruction intellectuelle véritable lorsque tous les enfants sont réunis sur les gradins, cette impossibilité décou­rage les surveillantes , et alors trop souvent elles ne parlent
qu’avec négligence, monotonie, ou même insouciance à cette masse d’enfants qui n’écoute ni ne comprend; et, la plupart du temps, elles s’inquiètent peu si on les écoute, ou si on ne les écoute pas ; car lorsque la charge dépasse les forces, elle est toujours mal portée.

L’instruction ne doit jamais s’élever au-dessus des limites de l’intelligence et de la compréhension des enfants ; il faut ne l’augmenter que progressivement; on doit s’efforcer de
faire comprendre à ces petits tout ce qu’on leur apprend et tout ce qu’on peut leur dire. Ainsi les paroles des chants qu’ils répètent peuvent être récitées vers par vers, et fournir d’inépuisables sujets de conversation, en même temps que cet exercice forme la prononciation des enfants. Il en est de même des prières, du petit catéchisme et de toutes les autres leçons.

La division des classes peut aussi permettre de graduer l’instruction de telle sorte que les enfants déjà un peu in­struits ne soient pas sans cesse ramenés sur les premières notions qui les ennuient et les impatientent. Par exemple, le chant de l’alphabet, celui de B, A, B A peut amuser la seconde division (de 3 à 5 ans); mais la troisième (de 5 à 6) n’y peut plus prendre intérêt ni plaisir; il y a même tel enfant de quatre ans, dont l’intelligence a besoin d’une instruction [290] plus variée. Que pour ceux-là donc l’enseignement de la lecture se présente sous une forme plus attrayante; des lettres mobiles de grande dimension, placées surune sorte de pupitre et exposées aux regards des enfants, permettent à la directrice de former d’abord le syllabaire, puis ensuite des mots, que les enfants épellent, et peuvent dicter eux-mêmes. Des chiffres mobiles aussi, et employés de la même manière, varient les exercices de calcul. Les leçons de choses se donnent avec bien plus de développement lorsqu’on ne s’adresse qu’à des enfants pouvant tous également com­prendre les explications que l’on peut leur faire. Les modifi­cations proposées ici dans les habitudes actuelles des Asiles, n’y produiraient aucun bouleversement. Les enfants conti­nueraient à entrer en classe et à monter au gradin tous en­ semble, comme ils le font à présent; les exercices s’exécute­raient comme à l’ordinaire; seulement on abrégerait celui de la lecture aux cercles et celui des ardoises qui n’appren­nent rien aux enfants et n’offrent d’autre avantage que de les occuper momentanément, en leur faisant exécuter quel­ques évolutions qui répondent à leur besoin de mouvement. Aux tableaux de cette lecture aux cercles, on pourrait substi­tuer des images représentant des objets très simples que les enfants reconnaîtraient et nommeraient ; ce serait alors pour eux un exercice d’intelligence en même temps qu’un amusement réel, tandis que maintenant cette lecture n’est qu’un véritable ennui.

Nous avons déjà dit que la méthode d’enseignement des Salles d’Asiie peut être infiniment perfectionnée : c’est sur­ tout sous le rapport de la clarté, de la simplicité, de la pré­cision des leçons à donner aux enfants c’est à l’égard de la marche progressive et sagement calculée des petites études qui peuvent rendre l’instruction vraiment profitable aux enfants. Pour y concourir, on doit éviter de remplir leur mé­moire de mots ou de phrases vides de sens pour eux, ou de les ennuyer par des leçons qui ne peuvent être comprises que par un petit nombre.

Les daines inspectrices et déléguées sont presque toutes des mères de famille ; qu’elles se demandent comment elles instruiraient leurs propres enfants, elles sauront alors recon­naître les modifications qu’il est désirable d’accomplir, et elles pourront adresser aux comités chargés de régler l’in­struction des observations ou des propositions propres à fournir des lumières nouvelles, et à amener le perfectionne­ ment qu’il s’agit d’obtenir.

De l’amélioration du chant.

L’on chante beaucoup dans les Asiles, mais comment chante-t-on? A peu près partout aussi mal que possible. L’in­tonation est presque toujours donnée sur un ton trop élevé, puis les enfants crient de toute la force de leurs poumons, ce qui est aussi nuisible pour eux que désagréable à entendre. Ce n’est pas ainsi qu’on peut faire naître ou développer l’in­stinct musical, ni former l’oreille et le goût; ce n’est même pas ainsi que les enfants peuvent profiter ni s’amuser des paroles qu’ils chantent; car ilslesentendentà peine au milieu du bruit assourdissant et souvent discord de leurs voix, et leur attention ne se porte pas suffisamment sur elles.

De même qu’une agitation excessive est à redouter pour les enfants, un bruit excessif l’est également. L’ébranlement de leurs nerfs en est la conséquence, et l’on affaiblit leurs organes par l’usage abusif qu’on en fait. Un enfant vivement excité, de quelque manière que ce soit, est aussi beaucoup moins facile à diriger, il y a des heures de récréation pendant lesquelles toutes les manifestations de gaieté et de joie sont permises; alors les enfants peuvent changer et crier aussi
haut que bon leur semble ; mais chacun ne fait que ce qu’il se sent porté à faire; tandis que sous la direction du maître et accomplissant une tâche, il peut être entraîné beaucoup plus loin qu’en réalité il ne devrait aller.

Les trèsjeunes enfants sont sujets aux affections delà gorge [292] et de la poitrine, et elles sont souvent mortelles pour eux; il y a donc parfois un vrai danger à les faire chanter si haut et si fort. Les daines inspectrices doivent donner toute leur atténtion à la manière dont cet exercice peut se pratiquer, en commençant par faire comprendre aux directeurs ou aux directrices quels sont les inconvénients qu’il s’agit d’éviter, et en s’appliquant à les faire chanter eux-mêmes avec justesse et le mieux possible. Elles doivent exiger que tous les chants s’exécutent mezzavoce, et ne dépassent jamais les notes au-des­sus desquelles la voix des enfants ne pourrait s’élever qu’avec effort. Il n’est pas question d’apprendre la musique dans les Salles d’Asile, mais on peut y enseigner aux enfants à con­naître la mesure, et à la marquer en chantant. C’est un moyen
de captiver leur attention, de les amuser, de les faire marcher avec plus d’ensemble. Dans les Asiles où l’on a pu introduire cet exercice, il y produit les meilleurs effets. En Italie, le chant est admirablement harmonieux dans les écoles et dans les Salles d’Asile; on tenterait vainement d’arriver en France à ce degré de perfection; mais on doit tâcher de faire mieux qu’on ne fait maintenant, et il est permis d’espérer qu’il en sera ainsi, quand on a entendu chanter les petits enfants de quelques Asiles où l’on a cherché déjà à rendre le chant moins défectueux.

Nous ne saurions quitter ce sujet sans indiquer combien il est indispensable de faire discerner aux enfants les divers chants qu’on leur enseigne. Une hymne, un cantique ne doivent pas être chantés comme une simple chanson; c’est pourtant ce qui arrive tous les jours. On passe sans préparation et sans transition du chant le plus saint et le plus solennel au chant le plus badin et le plus familier. C’est enlever au premier non-seulement son caractère, mais aussi l’influence qu’il peut exercer ; c’est en quelque sorte une profanation. Si les enfants chantent un cantique en marchant, il faut qu’alors la marche se ralentisse, et qu’ils soient engagés à faire plus d’attention aux paroles qu’ils prononcent; par ce moyen l’air seul d’un chant pieux agira sur les enfants; mais qu’en peut-on attendre [293] quand il est confondu avec Cadet Roussel et Mon ami Pierrot? On ne réfléchit pas assez sérieusement ni à ce qu’on fait faire aux enfants dans les Salles d’Asile, ni à la manière dont ils le font. Tout y a un but intellectuel, moral ou religieux, et rien ne doit s’y faire inutilement. Plus les dames inspectrices se pénétreront de ces deux idées, et plus elles deviendront ca­ pables de bien a diriger les surveillants et les surveillantes dans l’exécution du plan d’éducation tracé par les règlements et les programmes.» (Art. 20 du Règlement general.)

Du travail manuel.

Le travail est la loi imposée à l’homme aux premiers jours du monde : « vous mangerez votre pain à la sueur de votre visage. » (Genèse, III, 19.) L’inégalité des conditions ne dis­ pense personne de l’accomplissement de cette loi, qui s’ap­plique au travail de l’esprit comme au travail du corps. Dans les classes laborieuses de la société, celui-ci commence aussi­ tôt que le développement des forces peut le permettre, et trop souvent même plus tôt. C’est une époque douloureuse à traverser pour les enfants pauvres des deux sexes, que celle où ils sont enchaînés à un travail plus ou moins difficile, plus ou moins pénible: où, placés sous une surveillance presque toujours sans pitié et sans sympathie, la contrainte refoule leurs sentiments et leur gaieté, et où l’on exige d’eux une application constante et des efforts d’attention dont des hommes ne seraient pas eux-mêmes susceptibles. Préparer l’en­fance à supporter cette dure condition est donc une chose sage, utile et nécessaire. Lui rendre le travail attrayant, le lui faire aimer, est concourir à son bonheur futur. Ces avan­tages se rapportent à l’avenir, mais il y en a aussi dans le présent; car la bonne tenue des Salles d’Asile peut être ren­due plus facile et plus régulière par l’introduction du travail manuel dans ces établissements. Tout ce qui calme les enfants et les rend, à de certains moments, tranquilles et silencieux, sans contrainte et sans ennui, ne saurait être assez vivement [294] recommandé. 11 y a des heures où les directeurs et les direc­trices d’Asile ne savent que faire des enfants, et où l’oisiveté de ces mêmes enfants met en souffrance des devoirs pressants et d’une grande importance : ainsi, par exemple, le matin avant l’heure où commence la classe. Il y a des enfants qui arrivent tard, mais il y en a d’autres qui viennent de bonne heure; que font ceux-là? Ou ils jouent d’une manière bruyante, renfermés dans le préau, ou ils y sont condamnés à une im­mobilité insupportable pour de si jeunes créatures, et qui le serait même à tout âge. Cela ne doit pas être ainsi. Dans les Asiles bien dirigés sous le rapport moral, on occupe les en­fants aussitôt. qu’ils arrivent le matin. On ne permet pas qu’ils s’agitent ni se dissipent; mais on n’exerce point envers eux une sévérité incompatible avec la douceur et la bonté. La règle exige qu’à cette heure le maître ou la maîtresse soit libre, non-seulement de recevoir les enfants à mesure qu’ils arrivent, mais de les examiner attentivement et puis de les interroger, parler à leurs parents, et s’occuper enfin avec la plus complète attention de chacun de ces petits à mesure qu’ils paraissent. Pendant ce temps, la directrice adjointe (ou dans les Asiles peu nombreux la femme de service) surveille les enfants déjà arrivés. Le travail manuel est alors pour eux la meilleure occupation et le meilleur amusement. Il ne doit pas être imposé aux enfants nouvellement admis dans l’Asile (si ces enfants ont atteint l’âge de trois ou quatre ans), mais accordé, et cela se fera naturellement par le désir que ces en­fants éprouveront plus ou moins promptement de faire ce qu’ils verront que font les autres. Quant aux tout petits en­fants au-dessous de quatre ans, ils ne doivent que jouer, et il est nécessaire d’avoir pour eux des jouets en quantité suffi­ sante, et d’une nature qui permette des amusements paisibles, sans bruit et sans agitation. Les poupées pour les petites filles, les cahiers d’images (d’un très petit format et cartonnés fortement) pour les garçons, surtout les morceaux de bois taillés en forme de briques, de diverses grandeurs, n’excé­dant pas celle de deux pouces, peuvent offrir des ressources [295] inépuisables de plaisir. Les enfants ne se lassent point de faire tous les jours la même chose et de jouer tous les jours avec les mêmes objets; cette régularité, au contraire, leur plaît et les enchante tellement que les joujoux les plus vieux sont préférés à tous les autres. Les petits enfants sont donc faciles à amuser et à faire tenir tranquilles; mais les plus grands ont un besoin de mouvement auquel on ne peut don­ner un libre cours à cet instant de la journée, sans les pré­disposer d’une manière fâcheuse pour les heures qui suivront. Un travail des doigts offre un aliment à cette activité; on doit le choisir de telle sorte que les enfants puissent profiter de ses résultats. Dans ce but, le tricot et la couture pour les filles; le parfilage, le tressage de la paille ou de fort cor­donnet pour les garçons doivent être adoptés. Le tricot ne présente aucun danger quand on commence à le faire exé­cuter avec des aiguilles de bois, grosses et courtes, dont les pointes sont émoussées; les enfants font alors des bandes plus ou moins larges en laine ou en coton que l’on réunit ensuite par des coutures pour en faire des jupons ou de pelits couvre-pieds. On peut varier les couleurs de ces bandes et les assortir de façon à produire de jolis effets. En divers pays, les enfants tricotent dès leur plus jeune âge, et ne tardent pas à faire des bas pour eux-mêmes ou pour leurs parents.

La couture est, pour les petites filles, un plaisir plutôt qu’un travail; car ne les voit-on pas partout s’emparer des aiguilles et chercher à en faire usage? On peut, dans les Asiles, commencer par leur donner de petits morceaux de canevas, et, avec des aiguilles sans pointes auxquelles le fil est retenu par un nœud, faire faire des points de marques ou des points-arrière. Du canevas, on passe à la grosse toile, et de celle-ci aux étoffes plus fines, lorsqu’il n’y a plus de danger à mettre des aiguilles à pointes acérées dans les mains des enfants. Alors celles-ci font d’abord des ourlets et des surjets sur de petits morceaux de calicot, puis ensuite elles ourlent des mouchoirs, des fichus, des tabliers qui leur sont donnés par les dames inspectrices, non comme prix, mais [296] comme produit de leur travail. Le parfilage offre aussi des résultats d’une utilité réelle. Si c’est de la toile qu’on fait éfiler, la charpie qui en résulte peut être donnée ou achetée pour les hôpitaux ; si ce sont des morceaux d’étoffes de laine, de soie ou de coton, ce parfilage peut être filé après avoir été cardé, et le fil qu’on obtient ainsi est tissé et produit une étoffe très solide, avec laquelle on fait des pantalons pour les enfants, ou des couvertures d’été pour leurs lits. Avec les tresses de paille, on fait des chapeaux qu’ils portent, ou des cabas pour leurs mères, ou des tapis de pieds pouvant être vendus ; et avec les tresses de cordonnet on peut con­fectionner des chaussures dans le genre des chaussons de lisière.

Pour établir le travail manuel dans les Asiles, il faut ajou­ter aux objets composant le mobilier de ces établissements des paniers et des petites boîtes pour serrer l’ouvrage des enfants. On peut joindre divers autres petits travaux à ceux que nous avons indiqués; mais il faut que tous soient d’une exécution facile, et que tous aient un but d’utilité.

En quittant le travail, et avant de passer en classe, il est indispensable que les enfants exécutent quelques évolutions consistant en marches et en mouvements des bras, qui puissent les reposer de la tranquillité de la matinée Rien n’est plus facile, puisque ces marches se font déjà pour entrer dans la salle; il s’agit seulement de les prolonger un peu davantage, ou de les commencer quelques minutes plus tôt.

Des jeux et exercices gymnastiques.

Les jeux des enfants ont besoin d’être dirigés, sinon ils peuvent devenir dangereux ou inconvenants. Les directeurs et les directrices d’Asile qui comprennent réellement la mis­sion qui leur est confiée redoublent d’attention et de soins pendant les heures de récréation, et reconnaissent la néces­sité de régler les élans de gaieté et de turbulence des enfants, non point en leur interdisant de s’y livrer, mais en y offrant [297] un aliment et un but. Tous les enfants ne sont pas disposés à s’amuser exactement de la même manière; il serait donc peu judicieux de vouloir leur prescrire à tous le même di­vertissement, à moins que tous ne le demandent. On doit les laisser se grouper et se réunir selon leur inclination et leurs désirs; alors les uns manifestent des goûts paisibles; les autres, au contraire, montrent des dispositions plus animées; à ceux-là on doit suggérer des jeux tranquilles, à ceux-ci donner l’occasion d’exercer leur activité et les forces qui surabondent parfois dès le jeune âge. Lorsque les enfants sont en plein air, il faut diriger leurs jeux selon la tempéra­ture et les heures de la journée; ne pas les laisser s’asseoir à terre si le terrain n’est pas parfaitement sec ; ne point les laisser courir au soleil s’il est brûlant; et ne jamais leur per­mettre de danser ou de sauter de telle sorte qu’ils entrent en transpiration, ce qui peut occasionner des refroidissements. Il y a nombre de jeux dont les enfants se divertissent, et il en est de ces jeux comme des jouets : les mêmes leur plaisent longtemps.

Il n’est aucune dame inspectrice qui, en recherchant dans ses souvenirs d’enfance, ne puisse retrouver celui de plu­sieurs de ces jeux et les indiquer aux directrices qui ne sau­raient pas d’elles-mêmes les introduire dans les Asiles qu’elles dirigent; mais à ces jeux il peut être bon de joindre des exer­cices gymnastiques pour les enfants auxquels le médecin les prescrirait. Il ne doit pas être question d’exercices pour les­quels des appareils dispendieux seraient nécessaires; mais de ceux qui, d’une exécution simple et sans danger, peuvent fortifier les muscles des enfants, élargir leur poitrine, affer­mir leur démarche. Ranger les enfants par pelotons, les faire manœuvrer les uns vis-à-vis des autres, en leur faisant exé­cuter les mouvements qu’on a cru pouvoir adopter, est un excellent moyen de les amuser et de les exercer à la fois. Sur deux montants de bois solidement fixés dans le sol, on peut pla­cer transversalement une forte barre de bois aussi; à cette barre attacher et laisser pendre de grosses cordes, chacune [298] ayant plusieurs nœuds; puis faire grimper les enfants à ces cordes et leur apprendre à s’y suspendre, mais sans néan­ moins les laisser s’élever beaucoup, de crainte qu’en re­tombant ils ne puissent se blesser. Ce jeu ne doit jamais s’exécuter qu’en la présence et sous la direction du maître ou de la maîtresse, qui désigne les enfants pouvant y prendre part, tandis que les autres, rangés en cercle, regardent ou dansent en rond en chantant. On peut aussi faire tirer ces cordes comme celle d’une cloche, en indiquant le mouve­ment; et lorsqu’elles ne servent point, elles doivent être relevées de manière à ce que les enfants n’y puissent attein­dre. Faire ranger les enfants sur deux lignes, placer sur la tête de l’un d’eux, en équilibre,un petit panier léger, ou un ballon très léger aussi, puis faire marcher l’enfant entre ses camarades, est un amusement qui exerce les enfants à se tenir droits et à marcher avec aplomb et grâce. Sauter à la corde est également bon. Tracer sur le sol, ou sur le plancher, si c’est dans le préau, avec un bâton ou avec de la craie, des lignes parallèles à la distance d’un mètre ou d’un demi-mètre les unes des autres, puis faire sautera pieds joints les enfants par-dessus ces lignes, est encore un jeu très amusant et très salutaire. Les personnes qui ont visité des gymnases, ou qui ont fait de la gymnastique, peuvent indiquer encore beau­coup d’autres exercices de cette nature ; mais il faut n’adop­ter que ceux qui n’offrent aucun danger, et qui n’exigent pas de trop grands efforts de la part des enfants. C’est aux direc­teurs, aux directrices, aux dames inspectrices et déléguées à choisir ces exercices et à régler ce point vraiment impor­tant, puisqu’il concerne l’amusement des enfants, le dévelop­pement de leurs forces et l’affermissement de leur santé.

Des punitions et des récompenses.

Le choix des punitions et des récompenses adoptées dans une Salle d’Asile est plus important encore que celui des leçons qui peuvent y être données ; car les unes pénètrent [299] jusqu’au cœur de l’enfant qui les reçoit, tandis que les autres ne s’adressent qu’à son intelligence. On doit donc considérer attentivement non-seulement quel est l’effet présent de l’ap­probation ou du blâme, mais quelles en seront les consé­quences plus ou moins probables, et l’appréciation de ces
conséquences éclairera sur les dangers ou les avantages que peuvent offrir les moyens que l’on croira devoir employer.

Divers genres de punitions existent dans les Asiles ; mais le Règlement général ne s’explique sur ce point que de la manière suivante : « Les enfants ne doivent jamais être frappés. La dame inspectrice veille avec le plus grand soin à ce qu’il ne soit jamais infligé de punitions trop longues et trop rudes (art. 39). »

L’injonction est formelle et ne peut admettre aucune mo­dification : « Les enfants ne doivent jamais être frappés. » Comment se fait-il que dans quelques Asiles l’enfant qui a battu son camarade reçoive un coup de touche ? (1) Ce châti­ment, il est vrai, n’est administré que comme peine du talion ; mais ne comprend-on pas quels inconvénients il présente? D’abord on enfreint un des articles les plus positifs du code des Salles d’Asile; on autorise les maîtres à frapper les en­ fants, et une fois cette autorisation donnée, comment ne pas craindre l’abus qui peut en être fait? Nous pourrions citer tel Asile où les enfants ont été frappés avec cette même touche sur la tête, et parfois de manière à les blesser véritablement. De plus, par le fait d’avoir frappé un enfant, si légèrement que ce soit, on perd le droit d’interdire aux parents les rudes corrections qu’ils sont si souvent dans l’habitude d’infliger à leurs enfants, et on les encourage, en quelque sorte, à faire usage de ce mode de répression. Quant aux enfants eux-mêmes, il seront peut-être maintenus par la crainte du châti­ment mais cette crainte, qui comprime les dispositions du cœur, ne les modifiera et ne les changera pas.

(1) Baguette avec laquelle les surveillants dirigent certains exercices.

Dans d’autres Asiles on attache les mains des enfants ; c’est [300] encore la force dominant la faiblesse. On fait mettre ces en­fants à genoux et on les y retient pour un temps plus ou moins long. Est-il convenable de faire envisager comme punition l’attitude dans laquelle l’on adore et l’on prie? L’enfant, ainsi que le chrétien plus avancé en âge, doit trouver du bonheur à se prosterner ; il faut donc éviter de profaner pour lui cette manifestation du sentiment le plus sacré de tous.

Enfin, dans quelques Asiles encore, on met sur la tête des enfants de grotesques bonnets de papier, ou sur leurs épaules des écriteaux, et on les expose à la vue et aux risées de leurs camarades. Ce genre de châtiment est un des plus pénibles, car il froisse l’amour-propre des enfants ; il leur cause une grande humiliation, ce qui ne veut pas dire qu’il leur fasse éprouver ni regret de leur faute, ni le moindre mouvement de componction. Alors de deux maux l’un : ou l’enfant se roidit et méprise le châtiment, ou il est navré de ce qu’il a d’avilis­sant, et son attention, concentrée sur ce point, ne se porte plus qu’accidentellement sur les toi ts dont il s’est rendu cou­pable. On ne peut donc trop fortement blâmer aussi ce genre de correction.

Mais pourtant il faut bien qu’il en soit infligé d’une nature quelconque; que fera-t-on dans les circonstances qui exigent qu’il en soit ainsi ? L’auteur du Manuel l’a indiqué de la manière la plus précise. L’enfant qui a encouru la punition doit être séparé de ses camarades, isolé (mais sous les regards du maître (1) et livré à ses réflexions. Par ce moyen on respecte la dignité de l’enfance ; on ne l’irrite pas, on laisse s’apaiser l’agitation du jeune cœur troublé par la passion, on favorise les mouvements de la conscience, et c’est elle qui ramènera l’enfant au sentiment de son devoir. Lorsqu’il l’aura retrouvé, quelle que longue que soit la lutte, la victoire sera complète, et celles que l’enfant remporte sur lui-même à l’Asile prépa­rent et rendront plus faciles les combats qui l’attendent au dehors et dans tout le cours de sa vie.

(1) Toute espèce de réclusion solitaire est dangereuse et condamnable, ou ne peut trop appuyer sur ce point.

[301] A l’égard des récompenses, le Manuel et le Règlement général ne prescrivent et ne disent rien. Il en résulte que les idées et les habitudes varient. A Paris on a toujours donné des images
le samedi aux enfants lesplus sages. Mais on doit reconnaître que pour de très jeunes enfants, il faut récompenser ou punir à l’instant même. Quand arrive le jour de la distribution, ceux qui en sont exclus peuvent avoir perdu le souvenir de la faute commise cinq ou six jours auparavant. Alors les larmes versées à cette occasion, loin d’être des larmes de regret et de repentir, ne sont que des larmes de jalousie et de colère. On voit souvent dans ces occasions mêmes des en­fants exaspérés par ces sentiments, dont le premier peut produire de si déplorables effets. Dans quelques Asiles aussi, on distribue des médailles que les enfants portent pendant la semaine suivante; ou bien on leur donne comme prix de sagesse des objets d’habillement. Ce dernier usage offre le grave inconvénient de dénaturer la charité, en y joignant l’ostentation, d’éveiller la cupidité desparents, et de rendre impossible l’appréciation exacte des droits des enfants à par­ ticiper à ces dons; car s’il en est parmi eux dont la misère soit évidente, mais dont la conduite ne mérite aucun témoi­gnage de satisfaction, que fera-t-on à leur égard?

Il est donc aussi peu judicieux que peu conforme à l’esprit de la vraie charité d’adopter l’usage signalé ici.

Pour les médailles, elles présentent également des consé­quences funestes, dont on ne sent pas assez toute la portée. Que veut-on avant tout inculquer aux enfants dans les Salles d’Asile? l’amour, la crainte de Dieu et le sentiment du de­voir. Ces trois idées doivent être inséparables. L’enfant doit s’abstenir du mal par crainte d’offenser ce Dieu qui le voit et l’entend. Il doit faire tout ce qui est en son pouvoir par amour pour son Père céleste. Dès lors tout s’enchaîne, tout se rattache à ces deux grands principes, qu’il faut établir dans le cœur de l’enfance sur des bases si solides, que rien ne puisse les en arracher. L’action la plus insignifiante en apparence peut être la manifestation de l’un d’eux. Pourquoi [302] donc alors offrir aux enfants des récompenses honorifiques qui ne flattent que leur amour-propre, au lieu d’élever leur âme vers un plus noble but, et de la faire grandir sous de plus pures inspirations? Nous touchons ici à l’un des points les plus délicats et les moins approfondis de la science mo­derne de l’éducation; nous soulevons une question dont l’examen devrait s’étendre jusqu’à ses limites les plus recu­ lées; mais nous ne devons parler que de ce qui concerne la Salle d’Asile, et considérer l’effet des récompenses excitant l’orgueil, la vanité, ou tout au moins la satisfaction de soi-même. Inévitablement l’enfant se croira supérieur à ses cama­rades en s’entendant proclamer comme tel. Il s’accoutumera à penser que cette supériorité doit lui procurer toujours des distinctions extérieures ; et s’il les obtient souvent, il se com­plaira dans l’idée de son propre mérite. Dès le plus jeune âge, ces impressions peuvent naître dans l’âme et s’y déve­lopper; qu’y produiront-elles plus tard? Ce ne sera ni l’amour fraternel, ni l’humilité, ni le contentement d’esprit dans une position obscure ou modeste, ni enfin l’apprécia­tion généreuse du mérite d’autrui.

Que l’on étudie l’état actuel de la société, et que l’on se demande si les dangers qui la menacent ne sont pas delà même nature que ceux qui peuvent atteindre l’enfant dès ses premières années. Ah! que le cœur de cet enfant s’ouvre à l’influence du bien, de telle sorte que « tout ce qui est juste, tout ce qui est saint, tout ce qui peut rendre aimable, tout ce qui est vertueux et tout ce qui est louable » (1) lui soit doux à accomplir, sans effort, et sans autre pensée que celle de faire son devoir.

(1) Êpître de saint Paul aux Colossiens, ch. IV, v. 8.

Faire son devoir ! En de nombreuses circonstances l’homme ne pourra remplir cette obligation qu’au préjudice de son intérêt personnel. Non-seulement il n’en attendra aucune récompense humaine ; mais au contraire il devra s’exposer à la souffrance et aux épreuves. Ne faut-il pas qu’alors il [303] trouve dans son âme un mobile puissant en force, qui le sou­tienne et lui donne la paix? Ce mobile sera le même dont le petit enfant a besoin dans la Salle d’Asile. Voilà pourquoi il importe tant de le donner à cet enfant, afin que, devenu homme un jour, il sache que le témoignage de la conscience et son approbation valent mieux que tous les avantages que le monde peut offrir.

Que les directeurs et les directrices de Salle d’Asile sa­ chent donc encourager à propos l’enfant qui se conduit bien, non par des louanges ou des distinctions (1), mais en se réjouis­ sant de ce qu’il fait son devoir, et en lui témoignant qu’on en est heureux. Et puissent les dames inspectrices sentir com bien il est important de ne pas s’écarter de ce principe si simple, mais si fécond en heureux résultats.

(1) Celle d’être moniteur n’est point à redouter ; car elle impose à l’en­ fant la nécessité de remplir de mieux en mieux ses devoirs ; et l’on peut d’ailleurs la lui présenter comme marque de confiance.

En terminant cet imparfait travail, que les circonstances ont imposé la nécessité d’ajouter au Manuel rédigé par M. Cochin, nous croyons devoir répéter ici les paroles qui servent d’épigraphe à ce livre : « C’est pour suppléer aux soins, aux impressions, aux enseignements que chaque enfant devrait recevoir de la présence, de l’exemple et des paroles de sa mère, qu’il a paru nécessaire d’ouvrir des salles d’hospitalité et d’éducation en faveur du premier âge. » Voilà le but des Salles d’Asile; tous les moyens doivent tendre à la réaliser ; et tous les efforts doivent avoir pour mobile le véritable esprit delà « charité douce etbienfaisante, qui ne s’enfle point d’or­gueil, qui supporte tout, espère tout, et ne finira jamais. » (1)

(1) Première épître de saint Paul aux Corinthiens, ch. XIII, v. 4 et 7.

[304] CHAPITRE XIX. DES ÉCOLES NORMALES, POUR LES DIRECTEURS ET LES DIRECTRICES DE S’ALLES D’ASILE.

L’auteur du Manuel ne pensait pas qu’il fût nécessaire d’ou­ vrir des Écoles normales pour l’instruction des directeurs et des directrices de Salles d’Asile. Cette question a été jugée différemment en Angleterre, après de longues années d’expérience. Il peut être utile de fai reconnaître ici les règle­ ments établis par la société (Home and colonial Infant schools society) qui a fondé à Londres le cours normal dans lequel sept cent cinquante maîtres et maîtresses sont venus succes­sivement, dansl’espace de huit années, recevoir l’instruction, et acquérir les lumières indispensables à l’accomplissement de leur tâche.

Extrait du compte rendu publié en 1842 par la société des Salles d’Asile d’Angleterre et des colonies

« Le comité ayant pu constater que le temps passé par les maîtres dans l’institution était loin d’être suffisant pour leur donner une connaissance assez approfondie de la méthode, il a été décidé qu’ils devront à l’avenir rester vingt semaines dans l’établissement, pour obtenir leur certificat ou brevet d’aptitude. Le prix sera de 8 schillings (10 fr. 60 c.) par semaine pour la nourriture et le logement.

« Les maîtres qui resteraient moins de vingt semaines dans l’établissement auront à payer 12 schillings par semaine.

« Afin de prévenir de trop fréquentes interruptions dans le cours régulier de l’enseignement, les maîtres ne pourront [305] être admis que le premier mardi de chaque mois, à moins d’une autorisation spéciale du comité.

« Le retour des maîtres dans l’établissement pouvant con­tribuer à leur perfectionnement, le comité permet aux an­ciens élèves d’y rentrer pour un mois, moyennant 1 livre sterling (25 fr.)

« La réadmission des maîtres pour peu de temps offrant plus d’inconvénients que d’avantages, le comité s’est décidé à n’en recevoir pour moins d’un mois que dans le cas où, dirigeant des écoles, ils seraient obligés de s’en absenter momentanément.

« L’influence et les soins d’une femme étant indispensables à la bonne direction d’une Salle d’Asile, des hommes non mariés ne pourront être instruits dans l’établissement.

« Les bonnes, les institutrices de jeunes enfants et les maî­tresses d’école pourront passer dans l’établissement tout le temps qu’elles voudront au delà d’un mois, moyennant 5 shellings par semaine pour l’instruction seulement, ou une livre sterling si elles logent et prennent leur nourriture dans la maison.

« Le cours d’études suivi par les instituteurs traite princi­palement des sujets suivants : instruction religieuse, lecture et élocution, écriture, dessin élémentaire, grammaire, dessin linéaire, histoire naturelle, géographie, surtout géographie sacrée, et leçons sur des objets et sur des images, principes d’éducation, pratique dans l’école même ou méthode d’en­ seignement, exercices gymnastiques.

« L’objet qu’on a en vue est exercer l’esprit des maîtres sur des sujets qui leur seront utiles dans la direction des Salles d’Asile, de leur apprendre à mettre en pratique les leçons qu’ils reçoivent, d’étendre leurs facultés, de leur proposer un but de perfection plus élevé dans l’enseignement, et d’ex­citer en eux un désir d’y atteindre, qui leur fasse poursuivre leurs efforts, après même qu’ils seront sortis de l’établisse­ment.

«Le comité regrette vivement que les maîtres soient obligés [306] de consacrer une grande partie de leur temps à l’étude des sciences élémentaires, son désir étant surtout de leur donner la connaissance des meilleures méthodes pour l’enseigne­ment , comme pour l’éducation morale et religieuse de la jeunesse. Mais c’est un mal auquel il sera impossible de remé­dier tant que le cours sera suivi si peu de temps-, et que les candidats sortiront d’une classe où l’instruction est d’ordinairefort incomplète. Les heures passées dans la Salle d’Asile sont employées, par les aspirants, à acquérir l’habitude de l’enseignement et à instruire un certain nombre d’enfants,
plus ou moins grands, afin d’appliquer ainsi les vues générales qui leur ont été données. Le comité s’attache à faciliter aux candidats la manière de traiter toutes les questions et de les
présenter aux enfants; mais il tient à ce que tout exercice et toute étude se fasse en partant de ce qui est simple et fa­milier pour arriver par degrés à ce qui est plus difficile et plus abstrait, et à ce qui exige plus d’efforts de l’esprit.

« Le temps consacré à l’étude de la pratique doit varier né­cessairement suivant les progrès faits par les aspirants. »

Il résulte du plan d’études joint au compte rendu que les candidats reçoivent six heures de leçons par jour. En supposant que quatre heures leur soient accordées pour les repas et la récréation, il reste donc, si la journée est de quinze heures (de six heures à neuf ou de sept à dix), cinq heures à employer en études particulières, soit en exerçant la mémoire, soit en faisant des devoirs par écrit.

On conçoit facilement combien les candidats, ainsi diri­gés, peuvent s’instruire et faire de progrès dans l’espace de vingt semaines; et à côté de cet avantage se trouve celui, non moins important, de pouvoir étudier leur caractère, leurs dispositions d’esprit, et constater si rien en eux ne les rend impropres à la carrière qu’ils veulent suivre.

Le prix de pension payé à l’établissement couvre une partie des frais, et offre des garanties à l’égard de la vocation réelle des personnes qui se présentent. Le compte rendu ne dit point s’il y a dans l’institution des places accordées [307] gratuitem ent;ce serait une chose bonne et utile, ainsi qu’on l’a jugé pour l’instruction primaire. L’importance de con­naître à fond le caractère et les sentiments des personnes auxquelles on confie la direction des Salles d’Asile est si grande, que l’on sera, nous n’en doutons pas, amené en France comme en Angleterre à créer des établissements spécialement destinés à leur instruction. Le temps seul peut répandre la lumière sur certaines questions, et c’est à lui qu’appartient la solution de celle que nous posons ici. Mais
dès à présent on peut chercher des moyens de mieux instruire les aspirants et les aspirantes 5 ces moyens varieront selon les ressources qu’offrent les villes où siègent les commissions d’examen -, c’est aux membres de ces commissions à les dé­couvrir et à les appliquer. De l’instruction que reçoivent les candidats dépendra la direction des Salles d’Asile; rendre cette instruction aussi complète que possible est un des de­ voirs les plus pressants à remplir; mais en même temps on doit agir avec discernement, et ne s’écarter en rien de l’es­prit d’une institution charitable et maternelle. C’est encore aux dames appelées à exercer les fonctions d’inspectrices et de membres des commissions d’examen, à recueillir et à four­nir les informations nécessaires. Nous revenons sans cesse sur ce point, mais son importance est telle que nous ne sau­rions trop fortement le recommander à l’attention des fon­dateurs des Salles d’Asile et des autorités préposées à leur surveillance et à leur administration.

[308] CHAPITRE XX. LETTRES DE LA COMMISSION SUPERIEURE DES SALLES D’ASILE, AUX DAMES INSPECTRICES DES DÉPARTEMENTS.

Première lettre.

Paris, juillet 1841.

« Mesdames, c’est avec une joie bien vive que la commission supérieure des Salles d’Asile a l’honneur de vous écrire pour la première fois. S’il est une œuvre qui exige l’union des pensées et des efforts, qui fasse naître des sentiments d’affec­tueuse bienveillance et de douce fraternité, c’est l’œuvre à laquelle il nous est donné de participer. Depuis longtemps nous aimons, sans avoir encore pu le leur dire, les personnes qui partagent notre sollicitude pour les petits enfants que l’institution des Asiles a pour but de recueillir et de protéger. Depuis longtemps nous éprouvons le désir d’entrer en rela­tion avec elles ; car il ne nous suffit pas de connaître indi­rectement le résultat de leurs charitables travaux ; il y a, dans l’œuvre des Salles d’Asile, des détails minutieux et tout ma­ternels que des femmes seules peuvent saisir, et savent faire comprendre à d’autres femmes. Nous n’avons pas, mesdames, la présomption de croire que nos conseils puissent vous être nécessaires; mais placée au centre de tous les Asiles de France, recevant journellement sur chacun d’eux les communications queM. le ministre de l’instruction publique veut bien lui faire, la commission supérieure peut établir un lien entre tous ces Asiles ; et en appuyant par son président, membre du conseil royal, les demandes et les réclamations, elle peut joindre ses sollicitations à celles de MM. les recteurs et les préfets, et de madame la déléguée générale. Une correspondance intime [309] et confiante peut seule nous mettre à portée de nous identifier à vos espérances et aux difficultés qui viennent parfois en retarder la réalisation. M. le ministre de l’instruction publi­que l’a compris et nous a formellement autorisées à entrer dans cette voie nouvelle. Aujourd’hui nous nous adressons à toutes les dames inspectrices de France, et nous avons dû recourir au moyen le plus prompt de multiplier la copie de cette lettre ; mais nos relations habituelles n’auront rien d’officiel; de simples lettres, écrites de l’abondance du cœur par les dames composant la commission supérieure, répondront à celles que nous sollicitons,etqui, nous osons l’espérer, seront écrites aussi dans le même esprit.

« N’oublions jamais que l’œuvre des Salles d’Asile est une œuvre de foi, de charité et d’amour maternel ; partout où elle offrira ce touchant caractère, on la verra prospérer et pro­duire les plus heureux fruits. Aucune époque plus que celle-ci n’a réclamé le dévouement des amis de l’humanité ; il faut préserver les générations naissantes du souffle empoisonné de l’irréligion et de l’immoralité, ainsi qu’on défend de jeunes plantes du vent glacé qui les flétrit et les frappe de mort; l’attention la plus soutenue, la persévérance que rien ne peut rebuter, la charité chrétienne avec toutes ses tendres inspi­rations, tels sont les seuls moyens pour accomplir cette mis­sion sainte. La direction supérieure des Salles d’Asile appar­tient maintenant à l’autorité universitaire et administrative ; mais on ne peut assurer leur bonne tenue et leur véritable prospérité sans le concours des femmes. Soyons heureuses de la part qui nous est faite, et sachons en profiter sans dépasser les limites qui nous ont été assignées.

«Nous osons vous demander, mesdames, de nous faire connaître, le plus en détail possible, l’organisation et la disci­pline des Asiles auxquels vous donnez vos soins. L’expérience de quinze années nous a fait acquérir la profonde conviction que, sans une méthode d’exercices judicieusement combinés et variés, il est impossible d’obtenir l’ordre, l’harmonie, le bonheur qui doivent régner dans une Salle d’Asile.

[310] « Sur cet important sujet, il est nécessaire de s’éclairer mutuellement et de mettre en commun l’instruction acquise par de longs efforts ; mais on ne saurait y parvenir si l’on reste isolés les uns des autres. Qu’il n’en soit point ainsi parmi nous; unissons-nous, non-seulement par nos pensées, mais aussi par de fréquentes communications; ces rapports, nous osons l’affirmer, contribueront au bien des établisse­ ments qui nous intéressent et seront pour nous une source de vraies jouissances. Puisse l’invitation que nous vous adres­sons, mesdames, être reçue favorablement et comme un té­moignage des sentiments de la plus affectueuse considération.

« Les dames membres de la commission supérieure :

« Madame la comtesse deBondy, vice-présidente; madame la marquise de Pastoret, vice-présidente honoraire; mesdames Anisson-Duperron, Boutarel, Caussin de Perceval, Danloux-Dumesnil, François Delessert, Ga­briel Delessert, Delondre, Doubet, Guerbois, la com­tesse de Laborde, la maréchale comtesse de Lobau, la comtesse Molé, Moreau, Frédéric Moreau, Victorine Moreau, la comtesse de Bambuteau, la baronne de Saint-Didier, de Salvandy, la baronne de Tolosé, madame Jules Mallet, vice-secrétaire. »

Deuxième lettre.

Paris, mars 1842.

« Mesdames, vous avez accueilli avec tant de bienveillance notre première lettre, que nous avons l’espérance de trouver en vous les mêmes dispositions toutes les fois que nous aurons [311] l’honneur de vous faire quelques nouvelles communications. Aujourd’hui nous désirons fixer votre attention sur un sujet dont la commission supérieure est appelée à s’occuper sans cesse, et qui excite toute sa sollicitude. C’est l’importance de maintenir dans les Salles d’Asile une méthode uniforme qui en facilite et en assure la bonne direction. L’ordonnance royale et les règlements veulent que les directeurs et direc­trices d’Asiles subissent des examens et soient pourvus de brevets d’aptitude 5 mais, à l’égard des SOEURS, elle ne leur prescrit que le devoir de présenter leur lettre d’obédience. Maintenant le nombre des congrégations qui consentent à se charger de la direction des Salles d’Asile augmente tous les jours, et il serait possible qu’il s’introduisît une grande diver­sité d’habitudes et d’exercices dans les établissements confiés à leurs soins. Les méthodes adoptées dans les Asiles bien organisés de Paris et des départements sont le fruit de l’ex­périence, et d’une étude approfondie des dispositions et des besoins de l’enfance. On ne saurait les négliger sans qu’il en résultât de graves inconvénients, non-seulement pour les en­ fants, mais aussi pour les personnes chargées de les surveiller. Ces méthodes, composées d’une suite de petites évolutions, de mouvements et d’enseignements variés, contribuent au maintien de l’ordre, à la docilité, à l’amusement, au bonheur des enfants. Pour en être convaincu, il suffît de passer une heure dans une Salle d’Asile convenablement dirigée, et nous ne pouvons résister au désir de vous en citer un exemple frap­pant : c’est à l’Asile Cochin qu’ont lieu, à Paris, les examens des aspirants et aspirantes; et deux fois par an l’on peut y voir trois cents à trois cent cinquante enfants réunis, dirigés successivement par douze, quatorze, seize personnes qui, alternativement, subissent l’examen pratique. La méthode étant scrupuleusement suivie, les enfants montrent constam­ment une obéissance admirable, qu’il serait impossible d’ob­tenir si l’on négligeait les procédés ingénieux et uniformes par lesquels on parvient sans peine à fixer leur attention.

« Il nous semble donc très désirable que vous puissiez, [312] mesdames, employer votre influence à propager cette vérité fon­dée sur l’expérience; que, lorsque vous êtes appelées à con­courir au choix d’une directrice d’Asile, vous insistiez sur ce point essentiel, et que vous tâchiez d’obtenir que les sœurs mêmes s’instruisent de la méthode et soient tenues de pré­senter un certificat constatant qu’elles l’ont suffisamment étudiée dans un Asile bien dirigé. C’est surtout auprès des supérieures de communautés qu’il faudrait agir, afin de par­ venir à les convaincre que ce qu’on désire à cet effet est dans l’intérêt des sœurs directrices d’Asile, comme dans l’intérêt des enfants. Sans doute de telles observations doivent être faites avec une extrême délicatesse et avec tous les ménage­ ments convenables ; mais nous ne doutons pas que vous ne sachiez, mesdames, parfaitement remplir une semblable mis­ sion. L’ordonnance royale qui a constitué les Salles d’Asile a confié aux femmes la partie la plus belle et la plus grande de cette œuvre, puisqu’elle leur accorde le droit de surveiller les maîtres et les maîtresses dans l’accomplissement de leur tâche, en même temps que celui de protéger et de secourir les enfants. Mais comme il n’est pas moins nécessaire de prévenir que de réprimer ce qui peut porter atteinte à la bonne tenue des Asiles, nous ne saurions trop vous engager, mesdames, à redoubler de vigilance et de soins pour que l’on y conserve la méthode d’enseignement adoptée dans les Asiles de Paris, et généralement pratiquée.

« Nous serons toujours prêtes à répondre à toutes les ques­tions que vous pourriez nous adresser sur ce point comme sur tout autre ; car ce sera toujours pour nous le sujet d’une douce et vive joie que d’entretenir avec vous des relations d’affec­tion et de confiance.

« Veuillez agréer, mesdames, l’assurance de nos sentiments les plus distingués.

« Les dames membres de la commission supérieure :

« Madame la comtesse de Bondy, vice-présidente; [313] madame la marquise de Pastoret, vice-présidente hono­raire ; mesdames Anisson-Duperron, Boutarel, Caussin de Perceval, Danloux-Dumesnil, François Delessert, Gabriel Delessert, Delondre, Doubet, Guerbois, la comtesse de Laborde, la maréchale comtesse de Lobau, la comtesse Molé, Moreau, Frédéric Moreau, Victorine Moreau, la comtesse de Rambuteau, la ba­ronne de Saint-Didier, de Salvandy, la baronne Tolosé, madame Jules Mallet, vice-secrétaire.

« Le président de la commission,

« RENDU. »

FIN DE L’APPENDICE.